Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/25

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— Pourquoi pas la clef ? fit Jules très surpris.

— Parce que cette clef, tu vas me la remettre à moi. Parce que l’école ne sera pas fermée. Parce que moi je te remplacerai à ce pupitre et continuerai la classe.

— Vous, monsieur l’abbé !

— Oui, moi. Du reste, cette école nous appartient. Et puis, ce sera le moyen peut-être de savoir au juste ce qui se brasse dans la marmite orangiste, et aussi ce que cet Harold Spalding te veut. Car ces raisons de force majeure, dont parle la lettre, ne sont qu’un prétexte sous lequel se dérobe une rancune personnelle, un prétexte qui veut cacher une haine contre la nationalité, contre ta religion. Que veut donc Harold Spalding ? Un instituteur de son choix sans doute ?… Un Ontarien anglais probablement ?… Un orangiste à coup sûr ?… D’ailleurs, je lui mettrai un mot à la poste pour le prévenir que je te remplace temporairement. Nous ne pouvons laisser ces enfants sans école, c’est de notre devoir de maintenir la classe. Plus tard, nous verrons.

— Pensez-vous, interrogea timidement Jules Marion, que Harold Spalding a quelque haine personnelle contre moi ?

— Je le pense, sans l’affirmer.

— Mais pour quelle raison ? Que lui ai-je fait ?

— Peut-être, répondit lentement l’abbé pendant que ses yeux gris se rivaient profondément dans les yeux du jeune homme peut-être, Jules parce que tu aimes sa fille !

— Violette !… s’écria Jules Marion en tressaillant.

— Oui, Violette Spalding I

— Mais comment pouvez-vous dire que j’aime Violette ? demanda encore Jules souriant et rougissant.

L’abbé eut à son tour un sourire mystérieux sur ses lèvres minces et blêmes.

— Je l’avais deviné, répondit-il simplement.

— Vous m’en faites un crime, peut-être ? hasarda timidement Jules Marion.

— Ah ! non !… protesta l’abbé avec un bon sourire.

— Ou bien : vous vous dites « Quelle folie de prétendre — lui, un va-nu-pieds, — à la main de la plus riche héritière d’Ottawa ! »

— Ça non plus ! se défendit l’abbé toujours très souriant.

— Peut-être, me pensez-vous capable de convoiter une fortune ?… que sais-je ?

— Jamais.

— À coup sûr vous me blâmez, au fond, de m’être laissé aller à un amour que vous désavouez ?

— Mon fils, répondit l’abbé avec une tendres-