Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/264

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coups de baïonnette, se demande s’il s’en tirera assez tôt pour aller rendre aux Boches les quinze coups qu’il a reçus en trop !

Enfin, le capitaine Constant est mort au champ d’honneur, — c’est-à-dire de blessures qu’il a reçues au cours d’un engagement de la fin janvier. Qu’il demeure toujours au cœur de la race française du Canada l’un de ses plus beaux héros !

Quant aux autres personnages de notre histoire, nous y revenons sans plus tarder.


C’est l’abbé Marcotte que nous retrouvons en premier lieu.

Aux premiers jours de janvier, en raison d’une santé peu solide, aggravée par les intempéries de la saison, l’abbé avait dû abandonner son poste d’aumônier. Reconnu pour son zèle, sa sollicitude et son dévouement auprès de nos blessés, aimé et respecté de tous nos soldats canadiens, anglais comme français, son départ du front a causé un grand vide comme il a laissé un regret général.

C’est à Paris que l’abbé est venu s’installer, avec son fidèle Pascal, rue Saint-Lazare où il a loué un petit appartement, en attendant la pleine convalescence de Jules Marion que nous retrouverons bientôt.

Midi approche.

Dans la salle à manger qui, avec une cuisine, un petit salon et une chambre à coucher, compose tout l’appartement de l’abbé, Pascal est en train de dresser la table.

L’ancien sacristain ne vieillit pas : rasé de frais, jovial, alerte, il va et vient, chantonnant quelques-uns de nos airs canadiens.

Et si parfois sa pensée se rapporte sur le front de bataille, ses traits se raidissent, sa physionomie s’enflamme, ses yeux lancent de tranchants éclairs, et il entonne d’une voix formidable l’exaltante Marseillaise.

Dans le salon l’abbé frappe du poing la cloison qui le sépare de la salle à manger, et Pascal, surpris, confus, écarquille les yeux, plaque une main sur sa bouche pour couper court à l’hymne entraînant, flanque un énorme coup de poing à son ventre arrondi et s’apostrophe :

— Vieux bêta ! tâche donc de fermer ta musique !

Des lors il se gourme, se guinde et reprend sa besogne, un instant interrompue, avec toute la gravité funèbre d’un maître d’hôtel.

Tout à coup résonne le timbre de la porte d’entrée.

Pascal se précipite.

Un grand monsieur, à moustaches longues et grises, à l’aspect solide encore, demande à voir l’abbé.