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LA VIERGE D’IVOIRE

mettre à sa disposition pour arracher la jeune fille à la tombe qui semblait l’attirer irrémédiablement.

Et le mois d’octobre s’était achevé, novembre avait passé, décembre était venu… mais Lysiane n’était plus qu’une moribonde dont on attendait le trépas d’un jour à l’autre. Il ne restait plus en elle qu’un souffle de vie.

Le soir du 8 décembre, jour de l’Immaculée Conception, M. Roussel et sa femme s’étaient réunis au chevet de leur fille, parce que le docteur avait dit l’après-midi de ce jour :

— Je puis et je voudrais me tromper, cher Monsieur Roussel, mais je crains fort que votre pauvre enfant ne soit finie ! Demain elle ne sera peut-être plus qu’un cadavre !

M. Roussel avait sangloté, la mère, avait pleuré le reste de ses larmes, et tous deux pensaient assister aux derniers moments de leur enfant tant aimée.

Et cette enfant demeurait là immobile, avec ses grands cheveux blonds éparpillés sur les oreillers, les paupières closes, la bouche entr’ouverte et livide de laquelle ne s’échappait qu’une respiration imperceptible. Ses mains décharnées, blanches, si blanches qu’elles étaient transparentes, reposaient inertes sur les couvertures du lit. Sans le dernier souffle de vie qu’on devinait, on eût dit que cette forme humaine inanimée n’était plus qu’un cadavre.

Mais il restait un autre signe d’existence chez Lysiane : de temps à autre ses lèvres s’agitaient et l’on pouvait apercevoir la naissance d’un sourire. Est-ce que déjà cette enfant souriait aux choses de l’au delà ?

Au moment où une horloge sonnait neuf heures à l’étage inférieur, un timbre résonna.

— Voici une visite, annonça Mme Roussel sur un ton morne et sombre.

— Cela doit être le docteur, dit M. Roussel.

L’instant d’après une servante venait introduire un jeune homme dans la chambre de Lysiane. Mme Roussel courut à sa rencontre et prononça avec un sourire désespéré :

— Monsieur Drolet, je pense bien que c’est la fin !

— J’avais informé Fernand de la mauvaise nouvelle, dit M. Roussel.

— C’est vrai, madame, répliqua ce jeune homme que nous connaissons un peu. C’était ce même Fernand qui, un jour du mois d’octobre dernier, avait dit à Philippe que M. Roussel avait besoin d’un employé. Fernand Drolet depuis plus d’un an aimait Lysiane, et tous deux avaient échangé des promesses.

Âgé de 27 ans ce jeune homme avait un bel avenir devant lui. Il était le secrétaire d’une compagnie d’assurance dans laquelle son père était intéressé financièrement. Il avait un salaire plus que suffisant pour lui permettre de vivre honorablement, et avec ses économies, les placements sûrs qu’il pouvait faire et avec la petite fortune que lui laisserait ses parents, Fernand Drolet pouvait envisager l’avenir avec confiance.

Or, à mesure que le mal inconnu dévorait la fille de M. Roussel, Fernand Drolet s’inquiétait et il souffrait énormément, tout autant peut-être que le négociant lui-même. Pendant un certain temps il venait tous les soirs et tous les dimanches passer quelques heures auprès de celle qu’il avait choisie pour sa compagne future. Mais comme Lysiane ne semblait pas prendre de mieux, comme elle paraissait être marquée du sceau fatal de la mort, Fernand se désespéra, et peu à peu il cessa ses visites. Il les cessa auprès de Lysiane parce que le docteur Rouleau avait ordonné l’éloignement de tout visiteur. Puis, plus tard, la douleur de M. Roussel et de sa femme lui devint insupportable, car cette douleur pesait trop sur la sienne à lui, et il ne vint presque plus sur la rue Sainte-Famille.

Mais en ce jour du 8 décembre, après que le docteur eut annoncé à M. Roussel que sa fille allait bientôt cesser de vivre, le négociant avait téléphoné la terrible nouvelle à Fernand Drolet, qui cette fois, se fit un devoir de venir as-