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LA VIERGE D’IVOIRE

Aux premiers jours de juin, un peu après le départ de M. et Mme Roussel qui étaient allés passer la saison d’été sur une plage du Saint-Laurent, au Bic, je pense, Philippe, un matin, vit entrer dans son bureau de la rue Saint-Paul Adolphe Beaudoin. L’apparition du fils d’Amable fit surgir dans l’esprit très occupé de Philippe tout un passé qu’il avait presque oublié.

Il reçut le jeune homme avec la meilleure affabilité.

— Mon cher Adolphe, ce que tu as changé : te voilà un homme fort ! Mais dis-moi de suite comment va ton père, et madame Beaudoin, Eugénie, Clarisse…

— Monsieur Philippe, merci pour eux. Tous sont bien, sauf Eugénie.

— Hein ! Eugénie, est-elle donc malade ?

— Bien malade, monsieur Philippe.

— Mais depuis quand ?

— Depuis le lundi de Pâques.

— Ah ! De quoi souffre-t-elle ?

— Sa maladie ressemble beaucoup à celle qui m’a tenu sept années cloué sur un grabat.

— Ah ! ce que je suis peiné. Pauvre Eugénie ! Que disent les médecins ?

— Rien. Ils ne savent pas. Ils disent à peu près ce qu’ils ont dit à mon sujet. Mais je ne suis pas venu uniquement pour vous informer de cette mauvaise nouvelle.

— Non ? Que puis-je faire pour toi ?

— Ce n’est pas pour moi non plus que je suis venu, c’est pour ma sœur.

— Pour Eugénie ? demanda Philippe avec surprise.

— Oui… elle veut vous voir.

— Elle veut me voir ! Mais certainement, ajouta le jeune homme avec une grande émotion, j’irai la voir, Adolphe. J’irai ce soir en sortant de mon bureau.

— Elle désire vous voir de suite, monsieur Philippe.

— De suite ? Eh bien, soit.

Philippe se leva avec agitation, prit son chapeau et ajouta :

— Viens Adolphe ! Allons !

— Un moment, monsieur Philippe, mais Eugénie désire voir également votre femme.

— Hein ! ma femme aussi ?

— Et elle demande que madame Danjou apporte avec elle sa Vierge d’Ivoire.

Philippe pâlit légèrement. Il eut cette pensée :

— Est-ce qu’on allait demander à Lysiane de donner sa statuette… son talisman ? Mais il sourit de suite en songeant qu’Hortense, pour s’en être séparée, n’en avait pas été moins heureuse.

Il répondit à Adolphe :

— C’est bien, Adolphe, va dire à Eugénie que je cours chercher ma femme et que dans une heure au plus nous serons là.

— Avec la Vierge d’Ivoire, n’est-ce pas ?

— Oui, oui.

Adolphe partit tout joyeux.

Philippe commanda de suite une voiture et se fit conduire vivement chez lui, rue Sainte-Famille.

Quand il eut mis sa femme au courant de la demande étrange que lui avait fait adresser Eugénie, Lysiane dit avec pitié :

— Pauvre fille ! Oui, allons vite la voir, Philippe ! Tiens, vois-tu, j’ai là ma Vierge d’Ivoire.

Elle désignait une petite bourse de maroquin placée dans le fond de sa sacoche.

Tous deux montèrent dans la voiture qui avait amené Philippe, et une demi-heure après ils entraient au restaurant de la rue Notre-Dame.

Le bossu s’élança à leur rencontre.

— Ah ! monsieur Philippe… une éternité ! Il secouait vigoureusement la main du jeune homme. Et apercevant Lysiane souriante un peu à l’arrière, il ajouta : Pardon, madame, si je traite ainsi votre mari, mais…

Lysiane l’interrompit avec ces paroles :

— Monsieur Beaudoin, je sais toute l’histoire de Philippe et je connais les bontés que vous avez prodiguées à son égard. Mais vite, conduisez-nous auprès de votre fille malade !

— Oui, c’est vrai, madame… Ah ! pauvre Eugénie ! elle est bien mal, vous allez voir ! Vous avez votre Vierge d’Ivoire, madame ?

— Oui, je l’ai, là.

— Oh ! merci, venez !