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touré de drapeaux aux couleurs de la France, ne serait pas tenté de hisser le drapeau de son pays… le glorieux drapeau de l’Angleterre ? Car un homme de cœur et de race n’a jamais honte ni de son drapeau ni de sa race !

Et sans plus Murray s’en alla, lentement, comme il était venu.

Les soldats, penauds, et la foule, stupéfiée et honteuse, se dispersèrent. La ruelle fut bientôt déserte.

Mais devant le logis silencieux et sous le drapeau de la France demeuraient encore, comme en extase, un jeune homme et une jeune fille.

Lui était grand, fier et noble.

Elle était belle et ravissante.

Tous deux saluèrent encore une fois le superbe drapeau.

Puis, la jeune fille parla :

— Mon cher Léon, il ne peut y avoir en cette ville qu’un capitaine Aramèle pour faire un si beau geste !

— Je le pense aussi, chère Thérèse, entrons dans la maison d’Aramèle.

Léon DesSerres entraîna Thérèse Lebrand dans le logis où un homme, les larmes aux yeux, leur tendait les bras.

— Aramèle ! Aramèle ! cria Thérèse avec une joie suprême.

Le capitaine la reçut dans ses bras.

— Vous le voyez, mes enfants, dit-il avec un sourire heureux, la France n’est jamais vaincue !


IV


M. DesSerres avait donné, le dimanche suivant, une petite fête en l’honneur d’Aramèle, et à cette fête il avait convié la famille Lebrand. Mais le batelier, ayant été forcé par des circonstances imprévues de partir en voyage pour la Rivière-Ouelle le jeudi, n’était pas revenu le samedi soir, comme il l’avait pensé, et seuls Étienne et Thérèse s’étaient rendus chez M. DesSerres. La femme du batelier n’avait pas songé à quitter son logis, voulant être là pour recevoir son homme si, par imprévu, il revenait ce jour-là. D’ailleurs elle était trop inquiète pour s’adonner à quelque plaisir, car un vent violent avait, durant vingt-quatre heures, du vendredi au samedi, soulevé les eaux du fleuve, et l’accalmie ne s’était produite que dans la nuit du samedi.

Étienne et Thérèse avaient donc accompagné Aramèle chez M. DesSerres le dimanche dans l’après-midi, et l’on avait festoyé jusqu’à la veillée.

Un peu avant dix heures le capitaine remercia ses hôtes et s’apprêta à prendre congé avec Étienne et Thérèse. À cet instant un pêcheur de la basse-ville se présenta pour informer les deux enfants de Noël Lebrand qu’un grand malheur les frappait : le batelier avait péri dans la tempête de samedi ainsi que ses deux compagnons. Le petit navire, désemparé, avait heurté des rochers en amont de Montmagny, il avait coulé et s’était perdu corps et biens. Le dimanche au matin le cadavre du batelier avait été découvert sur le rivage par deux paysans, et il avait été ramené à Québec par des pêcheurs.

Cette nouvelle terrible frappa douloureusement les deux enfants et les amis du batelier.

Étienne et Thérèse coururent à leur domicile, accompagnés par Aramèle, M. DesSerres et son fils.

Ils trouvèrent la femme du batelier à demi inconsciente auprès du cadavre de son mari. Un médecin fut mandé. La pauvre femme, malade depuis de longues années, ne put résister à ce choc affreux, et dans la nuit elle succombait.

Par ce double et subit malheur Étienne et Thérèse se trouvèrent orphelins et sans ressources. Pour tout bien ils n’avaient que cette petite maison de leur père, et ce n’était qu’une bicoque de peu de valeur.

Qu’allaient-ils devenir ?…

D’abord M. DesSerres se chargea de tous les frais funéraires, puis il courut auprès de sa femme afin de la consulter sur l’idée qu’il avait eue d’adopter les deux enfants du batelier. Mme DesSerres approuva de suite son mari, d’autant plus facilement que Léon avait fortement appuyé son père : car le jeune homme éprouvait une joie immense rien que de songer qu’à l’avenir il se trouverait tous les jours en contact avec Thérèse, en attendant le jour où il pourrait l’épouser.

Mais le capitaine Aramèle, en apprenant la généreuse idée de l’ancien fonctionnaire, se récria vivement :

— Eh ! quoi, dit-il avec surprise et chagrin, vous voulez donc me priver d’un bonheur que j’avais entrevu et faire avorter un projet que j’avais conçu avant vous ?

M. DesSerres regarda Aramèle avec stupeur.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-il.