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LA GUERRE ET L’AMOUR

grande distance s’étalaient des champs de blé et d’orge, ainsi que des prés de gras troupeaux paissaient dans l’abondance.

Puis, c’étaient des forêts aux essences variées, des coteaux, des montagnes au sein desquels se creusaient des vallons mouillés d’étangs et de lacs ou sillonnés de sinueux cours d’eau et dont une riche et abondante végétation annonçait la fécondité. Et cette terre neuve, sauvage, loin d’avoir la mine rébarbative et mal accueillante des brousses et des jungles d’Afrique, offrait au contraire un aspect hospitalier et charmant. Dès l’abord on était attiré, fasciné par ce pays neuf éclairé par un ciel splendide, d’un climat tempéré, et abondant en gibier de toutes sortes et en fruits sauvages variés. Et telle était la fertilité du sol que ses habitants pouvaient dire avec raison : Ici, on n’a qu’à se baisser pour ramasser.

Le capitaine et ses deux compagnes furent charmés par la physionomie de cette terre, et tout de suite décidèrent de s’y fixer et, à l’exemple des autres colons, d’établir un domaine agricole. Car, se disait-on, il est possible qu’on ne revoie jamais Louisbourg, s’il tombe au pouvoir des Anglais, qui ne lâcheront pas de sitôt une prise aussi importante.

Une fois cette décision prise, il restait à trouver le morceau de terre vierge qu’on s’efforcerait de convertir en de beaux champs et en de gras pâturages. Dans les alentours immédiats du village il ne restait plus de terrain propre à la culture. Au delà des champs cultivés s’étendaient d’immenses marécages barrés çà et là de coteaux fortement boisés ; et, par delà les marécages, c’étaient des bois presque sans fin au sein desquels le regard cherchait vainement une prairie où l’on pût faire une première installation.

Mais Max, qui connaissait le pays pour l’avoir parcouru pendant quelques hivers, se fit fort de découvrir un coin de terre tout propre à la culture et charmant à la fois. Ce fut à deux milles de la Pointe-aux-Corbeaux et au delà des marécages que l’Indien conduisit le capitaine. Mais c’était la forêt quand même touffue, quasi impénétrable, et d’un défrichement trop laborieux pour les capacités du capitaine. Celui-ci parut désappointé.

— Est-ce là, demanda-t-il à Max, le beau coin de terre dont tu me parlais encore ce matin ?

Max ne répliqua pas. Il s’engagea dans les sous-bois, entraînant le capitaine à sa suite. On marcha un mille environ, et, tout d’un coup, on se trouva en une belle et vaste clairière, qu’enjolivait, vers le milieu, un bel étang, un lac presque, aux ondes miroitantes paresseusement allongées sur un lit de sable roux et de gravier rose. Des bois variés, bouleaux, trembles, peupliers, hêtres, l’entouraient. Mais dans ces bois on remarquait surtout de hauts cèdres séculaires, étendant de larges rameaux festonnés de mousse grise, et qui répandaient autour de leurs fûts puissants un ombrage bienfaisant. L’eau de l’étang, alimentée par des sources que l’on ne voyait pas, se renouvelait constamment et pouvait servir à tous les usages domestiques. La clairière était assez vaste pour permettre la construction de tous les bâtiments nécessaires, on n’aurait à faire que de légers abattages. Le capitaine parut enchanté. Mais ce n’était pas tout. Max s’enfonça de nouveau sous les bois, dans une direction opposée à celle d’où l’on était venus. Puis, au bout de dix minutes de marche à peine, on pénétra dans une nouvelle clairière, une petite prairie en vérité, et qui, coupée çà et là de saules et de trembles, se prolongeait en trois ou quatre autres prairies aboutissant à un joli cours d’eau fuyant au milieu d’un vallon verdoyant et semé de multitudes fleurs sauvages. Le capitaine, cette fois, se pâma d’admiration. Vraiment, ce coin de terre avait tout l’air d’un paradis. Il lui sembla que c’était de la terre toute faite, et qu’il n’aurait qu’à semer pour récolter. Sa décision fut aussitôt prise, il établirait son domaine en ces lieux enchanteurs.

Le lendemain de ce jour, il louait une charrette attelée d’un bœuf gras et emmenait sa femme et sa fille pour leur montrer le choix qu’il avait fait. Les deux femmes trouvèrent l’endroit magnifique et approuvèrent tous les plans et projets du capitaine.

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Ayant embauché plusieurs gars vaillants et solides du hameau, le capitaine se mit à l’œuvre pour bâtir une habitation et les bâtiments nécessaires. Il fallut d’abord tracer un bon et large chemin sur le parcours d’un mille, de l’orée de la forêt, jusqu’à la clairière que baignait l’étang, et c’est là qu’on éleva les premières constructions. On ne perdit pas de temps. Dès les premiers jours de juillet les réfugiés de Louisbourg pouvaient s’installer d’une manière assez confortable.

Mais on avait manqué de matériaux pour donner plus de fini aux bâtiments et l’on avait besoin de bien d’autres choses utiles et nécessaires que ne pouvaient fournir les habitants du hameau.