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LA GUERRE ET L’AMOUR

diquait que ce jeune général était en deuil. Peut-être de sa femme, pensa Olivier. Non, Wolfe était célibataire, mais fiancé à une jeune fille de la haute société anglaise, Miss Lowther. C’est de son père, dont il avait tout récemment appris la mort, qu’il portait le deuil.

Voilà, en résumé, ce qu’était le futur conquérant du Canada, ou, tout au moins, le vainqueur des plaines d’Abraham.

Maintenant, devant son prisonnier, Wolfe se donnait un air sévère et dominateur. Il aimait à impressionner, à intimider et il réussissait assez bien. Quant à Olivier, il n’eut pas de peine à comprendre, après un rapide examen de cet homme, que son sort tombait entre des mains peu tendres. Wolfe, cependant, voulut user de courtoisie à l’égard de son prisonnier, en se servant de la langue française, qu’il parlait avec facilité.

Aux questions minutieuses que Wolfe lui posa, Olivier répondit qu’il se rendait à Québec pour certaines affaires personnelles et pour son agrément, ajoutant qu’il avait l’intention d’étudier le pays et de s’y établir, s’il en voyait l’avantage. Il assura Wolfe qu’il ne songeait nullement à se mêler de politique et à prendre les armes avec les défenseurs du Canada. Il n’avait aucune marchandise à trafiquer et n’apportait aucun message pour les autorités dirigeantes.

Wolfe pouvait douter de la vérité de ces paroles. Mais, après perquisition, on reconnut que le jeune Français n’était chargé d’aucune mission pour le gouvernement de Québec, du moins il ne fut rien découvert qui pût confirmer les doutes du général anglais.

Ne pouvant établir aucune faute contre Olivier et ses hommes d’équipage, hormis celle de naviguer sous pavillon français, Wolfe décréta séance tenante que le navire français était confisqué, et que l’équipage et son commandant seraient reconduits en France à la première occasion.

Carrington avait assisté à l’entrevue, et, après qu’Olivier eut été emmené par l’escorte chargée de sa surveillance, il demanda une courte audience à Wolfe, disant :

— Monsieur, j’ai une faveur à vous demander. Vous avez ordonné que ces Français soient reconduits en France, et j’approuve votre sage décision. Mais pour des raisons qui me sont personnelles et que je juge oiseux de vous soumettre, je vous prierai de me confier la garde exclusive du commandant français.

— Qu’en voulez-vous faire, monsieur ? demanda Wolfe, un peu surpris.

— Je n’en sais rien encore, monsieur. Mais je peux vous jurer sur l’honneur que cet homme sera sous bonne garde, et que vous n’aurez rien à craindre de sa part.

— Sachez, monsieur, que je ne crains jamais rien, rétorqua Wolfe avec une rude hauteur.

Il est peut-être bon de noter ici que les officiers d’outre-mer affectaient de mépriser les officiers Bostonnais, auxquels ils ne reconnaissaient point l’habileté des armes et la stratégie des champs de bataille.

Devant le dédain manifeste de son supérieur, Carrington ne se départit pas de son calme. Il reprit :

— Voulez-vous me confier cet homme, monsieur ?

— Certainement, consentit Wolfe, content d’avoir cru humilier son subalterne. Vous pourrez même, ajouta-t-il sur un ton moins rude, en faire ce qu’il vous plaira, sauf de lui rendre la liberté en ce pays.

— Je vous jure, monsieur, qu’il n’aura de liberté qu’en son pays de France ou… en la mort, répartit froidement Carrington en se retirant.

Wolfe esquissa un sourire, songeant qu’il venait de livrer à leur haine particulière deux ennemis irréconciliables. Il eut même la pensée que le commandant français ne reverrait plus la terre aimée de son pays de France.

♦     ♦

Carrington logeait, avec d’autres officiers, ses subalternes, dans la maison d’un marchand de Louisbourg, lequel avait été déporté en France avec d’autres bourgeois et du peuple. La maison, fort endommagée pendant le siège, avait été sommairement réparée et rendue habitable. Il dépêcha deux sous-officiers aux casernes, avec ordre de lui amener le commandant français. Dès qu’Olivier fut entré, Carrington, sans une explication, le fit enfermer dans une chambre étroite et basse à l’arrière de la maison. Une fenêtre, prenant jour sur un jardin mutilé par les projectiles, donnait la lumière à la pièce. Mais la fenêtre était une issue par laquelle le prisonnier pouvait aisément prendre la clef des champs ; Carrington y posta une sentinelle qu’on relèverait à toutes les quatre heures. À l’intérieur, la porte de gros chêne était cadenassée. Quoi qu’il eût tenté, Olivier était dans l’impossibilité absolue de s’évader.

Il était trois heures de l’après-midi.

Ce soir-là, après le coucher du soleil, Carrington, voulant s’assurer par lui-même de l’impossibilité pour son prisonnier de s’échapper, vint faire un examen de la chambre, ordonnant en même temps que le prisonnier fût bien nourri et qu’on eût pour lui tous les égards.

Déjà Olivier avait reconnu l’officier qui lui avait demandé de répéter son nom lors de l’abordage de son navire par les marins anglais. Il lui demanda :