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damnation et j’ai hâte qu’arrive le jour de son exécution !

— Ce sera peut-être pour aujourd’hui, dit le chevalier de sa cellule plus loin.

— Tant mieux, répliqua Hindelang. Est-ce que comme moi, chevalier, vous n’avez pas hâte de montrer aux Anglais ce que nous valons devant la mort ?

— Certes, certes.

Puis Hindelang se mit à déclamer à haute voix :


Dressez, bourreaux, votre potence ;
Que chacun des clous dans ses bois
Enfoncés devienne une voix
Pour maudire votre sentence !

Apportez le fer et la flamme !
On est d’une race sans peur ;
La frapperiez-vous jusqu’au cœur,
Vous n’atteindrez jamais son âme !

Dressez, dressez votre gibet,
Et nouez la corde à sa place ;
Mais pour ne pas voir notre face
Glissez bien vite le bonnet !

Pressez, ô bourreaux, le bouton !…
Et maintenant, race maudite,
Que notre histoire est bien écrite,
Chante ! Hurle !… ton-taine, ton-ton !


Un rire général circula.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Aux premiers jours de février, par un matin neigeux et froid, un matin sombre, obscur, qui donnait à la prison un aspect de sépulcre, on vit Hindelang sortir de sa cellule, une main appuyée contre son cœur. D’un pas brusque, saccadé et légèrement chancelant il marcha vers la salle commune où les prisonniers étaient rassemblés autour du poêle, et ses lèvres, blanches comme la neige qui tombait dehors, se crispaient terriblement.

Le chevalier, en l’apercevant ainsi, alla vivement à lui.

— Qu’avez-vous donc, mon ami ? demanda-t-il avec une fraternelle bienveillance. Êtes-vous malade ?

Hindelang s’arrêta net, considéra un moment le chevalier avec une persistance étrange et dit, la voix sourde, hachée :

— Vous êtes un ami, vous !… et vous êtes… un gentilhomme !… Venez avec moi !

Il conduisit le chevalier dans sa cellule, le fit asseoir sur son grabat, saisit ses deux mains qu’il serra avec force et reprit :

— Vous me demandez si je suis malade ?… Malade, moi ? Que non pas, monsieur ! Mais c’est mon cœur… oui, c’est mon cœur ! Ah ! si vous pouviez sentir seulement un peu ! Tenez ! voyez-vous cela ?

Il entr’ouvrit son habit et fit voir à de Lorimier dans une poche à gauche un papier sur lequel on distinguait quelques taches roussâtres.

— Mais ce papier… ces taches ! fit de Lorimier avec inquiétude.

Le jeune homme sourit avec une sombre mélancolie et répondit :

— Ce papier, c’est une lettre d’elle… une lettre que m’apporta un jour Simon Therrier. Vous connaissez Simon Therrier ? Non ? Qu’importe !

— Mais ces taches ?…

— Et ces taches, reprit le jeune homme, c’est de mon sang. Après Odelltown, voulant m’assurer que j’avais toujours là sur mon cœur sa chère lettre, je l’ai touchée de mes mains ensanglantées.

Et comme le chevalier le regardait sans pouvoir parvenir à déchiffrer les sentiments multiples qui se partageaient le cœur et l’esprit de ce pauvre malade, Hindelang poursuivit :

— Monsieur, mon mal vient précisément de cette lettre, de cette lettre que je vénère et que je baise comme une relique sainte. Cette lettre brûle mon cœur sans cesse ! Et je ne peux l’ôter de là cette lettre… non, je ne peux pas, parce que c’est tout ce que j’ai d’elle, tout ce qui restera d’elle jusqu’au jour affreux où…

Des sanglots longtemps comprimés étouffèrent sa voix, et il se renversa sur son lit pour cacher dans son oreiller les larmes qui mouillaient son visage.

Excessivement ému de Lorimier essaya de quelques consolations. Mais à ce moment on entendit la grille de fer du couloir grincer bruyamment dans ses gonds, et une voix dure appela :

— Charles Hindelang !

Le jeune homme bondit et regarda le chevalier avec surprise.

— C’est le geôlier qui vous appelle, dit celui-ci.

— Le geôlier, bredouilla Hindelang.