Page:Féron - Le siège de Québec, 1927.djvu/52

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
LE SIÈGE DE QUÉBEC

est vrai que ces hurlements ont un air fort joyeux ; mais tantôt il pourra bien se faire que ce soient hurlements de douleur et d’épouvante ! Allons ! moi aussi je sens le besoin de m’amuser ! Par mon âme ! il ne sera pas dit que Flambard n’aura pas eu sa part des joies de ce monde !

Il frappa rudement à la porte.

Tout bruit se tut à l’intérieur. Une demi-minute s’écoula, puis un cadet entr’ouvrit doucement la porte.

— Merci, mon ami ! dit le spadassin en poussant tout à fait la porte. Il entra, referma tranquillement la porte et s’y appuya du dos. Puis il se mit à ricaner.

Peindre la stupeur ou l’effroi des cadets et gardes serait impossible : les uns s’étaient dressés debout, d’autres étaient demeurés assis, d’autres encore tenaient le gobelet d’eau-de-vie suspendu entre leurs lèvres et la table, mais tous avaient dans les regards et dans leurs physionomies une telle expression de surprise et d’étonnement, qu’ils semblaient, là, statufiés.

Un silence profond régnait dans cette grande salle où, quelques heures auparavant, notre héros avait été retenu prisonnier. Pas un mot, pas un geste, pas même un soupir ne troublait le silence.

On regardait l’apparition et on avait l’air de se demander si c’était là un spectre de la tombe ou un être vivant !

Mais n’était-ce pas Flambard ?

On n’osait se l’avouer !

À la fin un garde n’y put tenir, et il lança ce nom terrible :

Flambard !…

Un coffre bourré de poudre éclatant sous le plancher n’eût pas produit un plus bel effet : tous les gardes et cadets sautèrent en l’air, et toutes les mains saisirent rapidement les rapières. Mais pas un mot encore n’avait été prononcé, hormis le nom du spadassin.

Flambard ricana longuement et dit :

— Pouf !…

Les cadets et gardes firent un autre saut, et dans ce saut tous formèrent une masse compacte, menaçante, une masse qui s’ébranla doucement, à peine perceptiblement, et qui peu à peu se mit en mouvement vers le spadassin.

Celui-ci n’avait pas encore tiré sa rapière. Bras croisés, il regardait d’un œil narquois la bande s’approcher. Qu’avait-il d’ailleurs à redouter ? Appuyé qu’il était du dos contre la porte, sûr qu’on ne pourrait l’attaquer par derrière, il se sentait fort, invincible.

La bande approchait toujours, ses yeux brillaient ardemment, ses mains frémissaient, et les rapières à nu étincelaient de mille feux. Et ces rapières, ou plutôt leurs pointes aiguës n’étaient plus qu’à une faible distance de Flambard ; un seul bond de la bande, un seul, et quarante lames trouaient la gorge de notre héros.

C’était le moment.

La rapière de Flambard étincela à son tour, elle siffla, claqua… Il se produisit un curieux bruit d’acier qui crisse, puis des épées volèrent, des jurons retentirent, des corps humains s’affaissèrent pêle-mêle, du sang gicla, et toute la meute, moins quelques unités devenues cadavres, retraita.

Flambard abaissa sa rapière et reprit rudement haleine, il souriait encore.

Un cadet, derrière la bande confuse, saisit une bouteille et la lança à la tête du spadassin, comme s’il eût voulu se venger d’avoir été désarmé.

Flambard esquiva le projectile. La bouteille passa avec la rapidité d’une balle pour aller s’arrêter contre un gond de la porte ; elle se cassa en miettes.

— Ne cassons rien, dit Flambard, que des dents et des côtes !

Il riait béatement.

Gardes et cadets parurent se concerter du regard, puis comme une trombe violente elle bondit de nouveau.

La rapière de Flambard zigzagua comme un éclair, elle pointa, voltigea, frappa… Cinq autres victimes allèrent au plancher qu’une large mare de sang teignait d’un rouge affreux.

— Pouf ! cria le spadassin au moment où la bande reculait encore une fois.

Mais cette fois elle n’eut pas le temps de reformer ses rangs. Le spadassin lança un formidable Pouf ! et se rua comme un grand tigre.

La bande s’écarta vivement, se brisa en morceaux. Trois gardes roulèrent sur le parquet percés d’outre en outre. Dix autres étaient blessés. Dix autres encore avaient vu leurs lames s’envoler de leurs mains. Dans les morceaux de la bande la panique se mit. On vit des ombres fouettées par l’épouvante se glisser le long des murs, gagner la porte et s’esquiver furtivement.

Sept ou huit cadets essayaient de résister à la terrible rapière.

— Pouf ! cria encore Flambard.

Deux cadets s’abattirent.

Les autres venaient de voir que la porte demeurait ouverte, ils s’y ruèrent.

Le spadassin poussa un fort éclat de rire.

— Pouf !…

Notre héros allait s’élancer à la poursuite, lorsque la porte fut rudement poussée, fermée. Il était seul, avec des cadavres, des blessés, du sang. Dehors s’élevait une clameur d’imprécations. Il alla à la porte pour l’ouvrir ; elle résista. Il vit que c’était une porte solide qu’un coup d’épaule n’enfoncerait pas, et il comprit aussi qu’on l’avait cadenassée.

— Prisonnier encore ! murmura-t-il en souriant. Tranquillement il alla à une table, prit un carafon rempli d’eau-de-vie et se versa une large rasade.

— Voilà, dit-il, qui va me réconforter afin que je puisse achever tout à fait ma besogne. Car, à présent, je vais aller faire Pouf ! dehors !

Et l’œil sournois du spadassin caressa le panneau de la trappe qui ouvrait sur la cave. Il y avait bien quelques fenêtres, mais en entendant les clameurs de la meute, il se dit que sortir par l’une de ces fenêtres s’était fort probablement se jeter sur la pointe de plusieurs rapières. Non ! La cave était là. Il y descendrait, sortirait furtivement par la grande porte qu’il avait remarquée, et prendrait