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— Oh ! oh ! dit Flambard intéressé, je connais la belle demeure. Et vous pensez…

— Je le pense, parce qu’on m’a invité ce soir à m’y rendre pour identifier un enfant inconnu.

— Et vous n’y êtes pas allé ? interrogea Flambard de plus en plus surpris.

Le vicomte ébaucha un sourire amer, hocha la tête et répondit :

— Monsieur, je ne fais plus partie de cette bande !

Et faisant volte-face, il commanda à ses hommes :

— Demi-tour… marche !

La table bloquant la porte fut poussée et cette porte ouverte pour laisser passer le guet.

De Loys allait franchir le seuil de la porte à la suite de ses hommes, lorsque Flambard l’arrêta.

— Vous avez bien dit chez Bigot, vicomte ?

— Oui… répondit De Loys.

— C’est bien, j’y cours !

Il alla vivement à Rose Peluchet et lui murmura :

— Je pense que j’ai découvert le petit… espérez !

Il gagna la porte. Mais en passant devant le comptoir, il s’arrêta une seconde, jeta une bourse à la mère Rodioux et commanda :

— Défrayez à ma santé et à la France !

Et De Loys était à peine sorti du cabaret, que notre ami s’élançait dans les ténèbres et prenait à toutes jambes le chemin de la maison d’été de l’intendant Bigot.


XVII

L’ENFANT INCONNU


Trois heures environ avant la scène que nous venons de raconter, un homme pénétrait dans le corps de garde de la Porte Saint-Louis et demandait à parler à l’officier en charge. Un garde désigna une porte à laquelle cet homme frappa.

— Entrez ! dit une voix de l’intérieur.

L’homme poussa la porte et se trouva dans une petite pièce carrée, meublée d’un lit de camp, d’une table et de deux fauteuils, et éclairée par un lampadaire. Un jeune officier, les mains au dos et l’air très méditatif, marchait par la pièce.

— Ah ! c’est toi de Coulevent ? dit cet officier avec surprise.

— Mon cher de Loys, on m’envoie te chercher pour affaire urgente.

Le vicomte haussa les épaules avec indifférence.

— L’intendant ? demanda-t-il.

— Oui.

— Tu sais bien que je n’en suis plus.

— Bah ! ce n’est pas définitif. Tu as eu un moment d’humeur.

— Mon humeur est définitive et elle ne changera pas, J’ai pris du service avec Monsieur de Ramezay, je ne fais plus partie de la maison de Monsieur l’intendant.

— Je vais donc lui rapporter qu’il ne peut plus compter sur toi ?

— Tu rapporteras ce qu’il te plaira. D’abord, dis-moi pourquoi Bigot t’envoie ?

— Parce qu’il y a fête chez lui cette nuit et que ta présence est requise.

Le vicomte se mit à rire.

— Monsieur l’intendant est-il tellement attaché à ma personne qu’elle lui devienne inséparable ?

— Cela ne me regarde pas. Une chose, il y a un motif qui demande ta présence chez Bigot.

— Lequel ?

— On veut te faire identifier un enfant. Tu te rappelles celui de Jean Vaucourt ?

— Parfaitement.

— Eh bien ! Bigot et Deschenaux ont en leur possession un enfant qui leur est inconnu. Ayant appris que Jean Vaucourt avait retrouvé le sien, ce dont ils paraissent douter, ils désirent te faire voir l’enfant qu’ils ont en leur possession.

— Pour savoir si c’est l’enfant de Jean Vaucourt ?

— Ou si ce ne l’est pas ? que sais-je ?

— Eh bien ! mon cher, qu’ils supposent que l’enfant n’est pas celui de Jean Vaucourt. Et quant à leur dire à qui appartient cet enfant, dame ! je ne connais pas tous les enfants du pays. Et puis, de Coulevent, je suis en service. Dans une heure j’aurai à faire par la cité ma ronde de nuit. Bonsoir, de Coulevent !

Et de Loys reprit sa marche.

De Coulevent regarda le jeune officier avec étonnement, puis il hocha la tête et gagna la porte. Mais comme il allait sortir, de Loys le retint.

— De Coulevent, prononça-t-il avec une gravité impressionnante, tu t’es dit mon ami, n’est-ce pas ?

— Je le suis toujours, vicomte.

— Veux-tu un conseil d’ami ?

— Cela dépend. Parle.

— Lâche Bigot et suis-moi !

— Où ?

— Demain, après-demain, un jour ou l’autre… quand ? je ne sais pas. Mais où ? Sur le champ de bataille, pour la France et la Nouvelle-France ! De Coulevent, suis-moi vers le devoir !

De Coulevent éclata de rire.

— Mon cher de Loys, je ne te reconnais pas. Vas-tu devenir vertueux ? Par ma foi ! que parles-tu de devoir ? Qu’est-ce cela, mon cher, le devoir ? Ne sais-tu pas que c’est le mot que l’on ne trouve que dans la bouche des sots ? Moi, vois-tu…

Le vicomte l’interrompit rudement.

— Bien, dit-il, je suis un sot ; par conséquent tu es en mauvaise compagnie. Bonne nuit, de Coulevent !

De Coulevent s’en alla en ricanant.

De Loys haussa les épaules et continua de marcher par la petite pièce qui lui servait de logis.

Que s’était-il donc passé dans la vie de ce jeune seigneur qui, par ses bruyantes folies, avait étonné longtemps toute la cité ? Oui, que parlait-il de devoir, lui qui n’avait écouté que les fantaisies et les caprices de son esprit ? Lui qui s’était livré au jeu de toutes les débauches ? Lui qui avait projeté les crimes les plus monstrueux ? Lui qui avait accompli des forfaits sans nom, lui qui avait traîné l’hon-