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c’est-à-dire en 1779, et d’arriver au pays où il allait se livrer à la jurisprudence. Quant à Pierre Darmontel, il n’allait revenir au Canada qu’au commencement de 1780.

Saint-Vallier s’était de suite jeté dans le groupe des protestations et des agitateurs et s’était vite acquis une belle réputation de patriote. Il avait parcouru les campagnes pour recommander au peuple de prendre tous les moyens légaux pour défendre les droits qui lui restaient et pour recouvrer ceux qu’on lui avait enlevés. Bientôt sa voix devint une autorité, à ce point qu’il réussit à maîtriser certains groupes, moins éclairés et plus bouillants, qui voulaient le recours à la force armée en demandant l’aide militaire des Américains.

Son nom n’avait pas manqué de sonner aux oreilles du général Haldimand ; aussi avait-il dépêché des agents secrets pour le capturer. Mais Saint-Vallier avait déjoué tous les guets-apens et tous les pièges. Puis, audacieux et téméraire, il était venu en plein Québec clamer ses protestations contre les rigueurs et les violences du lieutenant-gouverneur. Il fut arrêté et enfermé dans une chambre étroite et sombre de l’ancien collège des Jésuites qui avait été converti en casernes et en prison.

Saint-Vallier avait été arrêté vers la fin de cette année 1779.

Le collège des Jésuites avait été bâti de quatre ailes qui formaient un quadrilatère avec cour intérieure. Le bâtiment avait, outre le rez-de-chaussée et les combles, deux étages et faisait face à la chapelle. L’endroit où s’élevaient ces deux constructions avait été désigné d’abord sous le nom de « Place des Jésuites ». Un peu plus tard on l’avait appelée « Place du Collège » à cause de la rue du collège qui traversait la place. Et un peu plus tard encore, cette rue avait été appelée « Rue de la Chapelle » et la place elle-même, « Place de la Chapelle ». Après 1759, la rue et la place changèrent de nom, à l’époque où commence notre récit on désignait généralement l’endroit « Place des Casernes ». Or, durant le cours de notre récit nous rendrons à cette place son ancien et premier nom, « Place des Jésuites ». Lors du siège de 1759, la chapelle avait été partiellement détruite et elle n’avait pas été relevée de ses ruines. Quant au collège, il n’avait souffert que des dégâts relativement minimes.

La chambre où avait été enfermé Saint-Vallier, chambre qui pourrait être appelée plus justement mansarde, était une petite pièce triangulaire placée dans l’angle sud-est du bâtiment, sous la toiture et n’ayant pour l’éclairer qu’une petite lucarne donnant sur la place, et cette lucarne était grillagée de tiges de fer. Le prisonnier se trouvait là complètement solitaire, car la partie sud-est et est du bâtiment, ayant plus souffert durant le siège de 1759 que les autres parties, et étant peu propre à servir de logement, avait été laissée à la solitude. La moitié de l’aile sud avait été affectée en bureaux de l’administration militaire, salle de mess, et salle d’audiences. L’aile de l’ouest servait de logement aux bataillons anglais qui y avaient été casernés, et l’aile nord servait d’entrepôt d’armes, de munitions de guerre et de provisions de bouche. Mais sous les combles de l’aile nord on enfermait des prisonniers.

Il était donc impossible à Saint-Vallier d’entretenir aucune communication, soit avec les officiers, gardes ou soldats, soit avec les autres prisonniers. Il ne pouvait voir d’autre humain que le sous-officier qui avait été spécialement chargé de la surveillance du jeune homme. Ce sous-officier devait, trois fois par jour, aller porter des aliments à Saint-Vallier avec qui il lui était défendu de lier conversation, puis, une fois toutes les heures, aller, par un judas pratiqué dans la porte massive de la mansarde, jeter un coup d’œil dans le cachot et savoir ce que faisait le prisonnier. Jamais ordres aussi sévères n’avaient été donnés pour les autres prisonniers. Mais comme Saint-Vallier avait attaqué dans ses discours, non seulement l’administration du pays, mais la personne même du lieutenant-gouverneur, celui-ci voulait faire peser sur le jeune homme toute la colère et la haine qui l’animaient. Aussi, pour comble de cruauté, il avait été enjoint au prisonnier de n’avoir pas à mettre le nez à sa lucarne, et les sentinelles qui faisaient la garde sur la place avaient ordre de tirer sur lui si elles le voyaient paraître aux vitres de sa lucarne.

Hector Saint-Vallier ne s’était pas le moindrement ému en se voyant jeté dans cette espèce de donjon, et il ne s’était pas ému davantage lorsqu’on l’avait prévu de ne pas mettre sa face à la lucarne s’il désirait conserver la vie ; il s’était borné à sourire.

Le cachot n’était pas un lieu inhabitable… il y en avait de pires. On lui avait donné un lit de camp, un siège et une table, de sorte que Saint-Vallier pouvait s’asseoir, marcher ou se coucher. La table lui servait à prendre ses repas qui étaient toujours copieux et bien apprêtés. Donc Saint-Vallier, pouvait manger à satiété et dormir tout son