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LES CACHOTS D’HALDIMAND

Il promena un rapide coup d’œil à l’intérieur où ne régnait qu’un demi-jour, puis il tressaillit, reporta son regard surpris et confus vers Louise et demanda, la voix tremblante :

— Où est Saint-Vallier, mademoiselle ?

Louise Darmontel bondit sur son siège, regarda avec étonnement le lieutenant arrêté sur le seuil de la porte, puis courut à lui, le repoussa, et entra dans la chambre… Elle fit entendre un cri de joie insensée…

— Oh ! Saint-Vallier ! Saint-Vallier !…

La chambre était déserte, le lit défait et vide… mais l’une des fenêtres était ouverte… celle qui donnait sur un jardin à l’arrière de la maison.

Elle courut à cette fenêtre, suivie par Foxham, se pencha dehors et aperçut des traces de pas sur la mince couche de neige…

Elle se retourna vers Foxham, et, triomphante, ivre de joie, elle clama :

— Allez ! Foxham… franchissez encore cette porte si vous voulez Saint-Vallier !…


Fin de la première partie.


DEUXIÈME PARTIE

I

DU CALVET


Avec cette constitution faite de fer, avec volonté inflexible qui trempait son tempérament comme un acier, avec cette énergie contre laquelle tout venait irrémédiablement se briser et devant laquelle tout obstacle disparaissait, Saint-Vallier, demi mourant et prévenu par le serviteur qui avait admis dans la maison Foxham et ses soldats, oui… Saint-Vallier trouva la force de se soulever, de se mettre debout, de s’habiller à la hâte et de se glisser par la fenêtre qui ouvrait sur le jardin. Et faible, la tête en feu, oscillant à chaque pas, il s’en alla à la basse-ville, chez des artisans qui étaient pour lui des amis sûrs.

Ces artisans, à la nuit venue, le conduisirent chez des paysans de la campagne environnante qui, connaissant Saint-Vallier et l’aimant, s’engagèrent à le soigner et à le défendre quoi qu’il leur en coûtât.

Lorsque Saint-Vallier arriva chez ces paysans, il était sans connaissance.

Et la même nuit, Louise Darmontel, avertie par les artisans, et connaissant l’arrestation de son père et instruite de la confiscation de tous les biens du commerçant, prit tout l’argent qu’il y avait dans la maison et les bijoux, fit louer une voiture, et avec ses serviteurs et le vieux médecin français alla se réfugier auprès de son fiancé.

Sous les soins attentifs et continus du médecin, sous la garde incessante de Louise, Saint-Vallier revint à la vie, à la force. Mais durant quatre mois il était demeuré entre la vie et la mort. Sa constitution prodigieuse, sa forte envie de vivre, l’amour qu’il avait pour Louise Darmontel contribuèrent à sa guérison.

Le 15 de mai 1781, Saint-Vallier épousait Louise Darmontel et prenait aussitôt avec sa jeune femme la route des États américains.

Et c’était au moment où les ennemis implacables du jeune canadien, Foxham, le colonel Buxton et Haldimand lui-même, venaient d’apprendre, après l’avoir cru mort, que Saint-Vallier était encore vivant. Sa tête venait d’être mise à prix pour la somme de mille livres sterling.

Le lendemain de son départ, en effet, toute la campagne environnante était battue par des escouades de soldats et d’agents secrets, toutes les maisons, toutes les chaumières furent impitoyablement perquisitionnées, et les paysans rudoyés, menacés, brutalisés… Saint-Vallier et sa femme étaient partis au bon moment.

Ce fut peu après, vers le commencement de juin, qu’eut lieu le premier procès de Du Calvet. Ce ne fut pas précisément un procès… on le fit paraître devant des juges qui essayèrent de lui faire avouer sa participation aux entreprises des Américains contre le Canada ; on voulut lui faire avouer qu’il avait trahi la couronne d’Angleterre. Dans ce tribunal sectaire et fanatique, acheté bien à l’avance par les ennemis les plus mortels de la race française du pays, Haldimand était présent. Que si un juge tentait, pour un motif quelconque, d’atténuer l’importance ou la légalité d’une accusation portée contre le gentilhomme français, Haldimand s’interposait pour que l’acte d’accusation demeurât tel qu’il avait été dressé.

Seul contre tant d’ennemis, Du Calvet, malade, livide, affaibli physiquement et mentalement… Du Calvet, qui n’était plus que l’ombre de lui-même, se raidit, retrouva cette belle énergie qu’avait brisée une effroyable captivité, se redressa, essaya de se défendre. Ses lèvres blêmes et desséchées n’étaient plus remuées que par les vibrations intérieures et énergiques de son âme française. Ses yeux