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LES CACHOTS D’HALDIMAND

dressèrent devant les fuyards pour en arrêter le flot fatal.

— Canadiens, Canadiens ! n’abandonnez pas vos foyers ! Sachez les défendre et les protéger s’ils sont menacés ! N’allez pas là-bas, ce sont d’autres ennemis qui vous broyeront un jour ! L’ennemi d’ici est moins fort ! Ici nous luttons sur notre terrain et la victoire nous restera ! Ne fuyez pas, vous n’êtes pas d’une race qui déserte dans la lutte ! Ne nous abandonnez pas, les Anglais diront que vous avez peur ! Déjà ils vous marquent à tout jamais de leur mépris, et si vous désertez, vous emporterez avec vous une honte dont rougiront vos générations ! Arrêtez…

Ces paroles terribles et cinglantes firent effet.

On entendit ces voix résolues :

— Ah ! vous voulez qu’on reste et qu’on défende notre terre ?… C’est bon, on la défendra… gare à eux !…

Or, ceux qui s’en allaient vers l’exil rebroussèrent chemin… mais pas tous, malheureusement ! Beaucoup demeurèrent sourds à la voix de leurs frères… ils s’en allèrent. Ceux-là ne comptaient plus !

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Mais la main lourde de tyrannie du général Haldimand allait se lasser peu à peu, surtout à l’époque où l’Angleterre se déciderait à reconnaître l’indépendance des États américains. C’était la fin de la guerre qui existait entre les deux partis anglo-saxons de cette Amérique du Nord. Si l’Angleterre perdit, par le traité de 1783, un bloc de son territoire canadien, par contre elle gagna en population par l’immigration dans les provinces britanniques de quarante mille loyalistes anglais, qui abandonnèrent les États américains où ils étaient établis pour venir habiter sous le drapeau de l’Angleterre.

La plus douloureuse perte fut celle subie par la race canadienne : elle perdait vingt mille enfants, tandis que l’autre race en gagnait quarante mille ! Et un peu plus tard cette race canadienne se trouverait en face d’une majorité étrangère !

N’importe ! la lutte n’en devait être que plus belle, plus glorieuse !


II

UNE NOUVELLE TRAME


Haldimand s’était définitivement lassé.

En l’automne de 1782 les prisons commencèrent à s’ouvrir peu à peu pour rejeter à la lumière du jour les malheureux qui avaient cru y terminer leur existence. Mais ce ne fut qu’au mois de mai 1783 que Du Calvet fut libéré. Il fut libéré comme tous les autres, sans savoir encore quel avait été au juste son crime. N’importe ! il ne pouvait refuser la liberté que lui rendait enfin Haldimand, plus fatigué de sa propre tyrannie que ne l’était le peuple… il en était si lassé qu’il demanda à la métropole anglaise de lui donner un successeur. Celle-ci ne se rendit pas à sa demande.

Alors, Du Calvet, qui avait tant souffert… Du Calvet, qui rentrait dans la vie l’âme pleine du deuil de l’épouse aimée… Du Calvet, vieilli, usé, ruiné de corps et de biens, mais ayant l’espoir de voir son nom se perpétuer par son fils émigré aux États de la Nouvelle-Angleterre et qu’il allait bientôt serrer dans ses bras, oui, Du Calvet songea, alors, à demander à l’Angleterre, à son roi, à ses ministres, la justice qu’il avait tant réclamée pour lui et pour ses compatriotes canadiens et qu’on lui avait brutalement refusée… Du Calvet partit pour l’Angleterre.

Ce fut une lutte âpre, acharnée qu’il dirigea contre la partisanerie de l’administration canadienne. Il étala ses souffrances et celles de ses concitoyens des bords du Saint-Laurent avec une vigueur, une fougue, une véhémence, mais en même temps avec une sincérité qui finit par attirer l’attention de ceux qui essayaient de paraître les plus indifférents.

Sa voix éclata, résonna dans les brumes d’Angleterre. Il demandait qu’on rappelât Haldimand du Canada et qu’on instruisit un procès contre lui ; « car, ajoutait, Du Calvet, votre serviteur a trahi les intérêts de son pays et de son roi ! Qu’on le dépouille des ornements du pouvoir et de l’autorité, qu’on le traduise devant vous comme un simple mortel tel qu’à vos yeux je me présente, et vous verrez, messieurs, un homme venir avec des mains trempées dans le sang de l’innocence, et un serviteur qui, par une tyrannie insensée, par manque de jugement et de clairvoyance, a failli jeter tout un peuple loyal dans les mains des Américains et faire perdre à la couronne d’Angleterre une splendide colonie ! »

Et la voix tonnante du grand patriote traversa les océans, elle vint troubler l’esprit et la conscience d’Haldimand, elle vint frapper d’épouvante tous ces êtres de l’ombre rampants et visqueux qui avaient été autour de lui les serpents souffleurs de l’esprit du mal.

Foxham et le colonel Buxton avaient été