Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y avait là, au couvent, une vieille, une très vieille religieuse que la communauté tout entière entourait d’un respect profond. Elle se nommait la mère Françoise d’Assise en religion. Dans le monde, autrefois, elle avait porté le nom d’une noble et puissante famille, établie en France après l’expulsion du roi Jacques d’Angleterre. Les Clare-Fitz-Roy avaient suivi le monarque détrôné. On supposait qu’il y avait à cela des raisons qui ne se rapportaient pas à la politique. La chronique de la cour de Londres, donnait, en effet, à cette famille une origine royale, que son nom de Fitz-Roy semblait confirmer pleinement.

Le second prétendant, le chevaleresque et malheureux chevalier de Saint-Georges, s’était uni par un mariage secret à une fille de cette maison qui fournit deux vaillants capitaines à l’armée française, sous Louis XV, un compagnon à Lafayette dans la guerre de l’Indépendance américaine, et plus tard, pendant la Révolution, deux soldats encore, deux intrépides champions qui combattirent, malheureusement, sous des drapeaux opposés.

La mère Françoise d’Assise avait dans ses veines le sang des rois. Elle avait porté pendant sa jeunesse courte et brillante le nom de Stuart et le nom de Clare.

Deux fois par an, une fois l’été, une fois l’hiver, un équipage à quatre chevaux, timbré à cet écusson que Marguerite Sadoulas nous blasonnait naguère : « d’azur au soleil radiant d’or avec la légende clarus ante claros », s’arrêtait devant le seuil austère de la maison de Bon-Secours. Un homme de rare élégance et de grande mine en descendait, tenant par la main une petite fille très pâle, aux yeux hardis, que les bonnes religieuses trouvaient laide. On ne sait jamais avec ces petites filles : celles qui doivent être complètement belles se font en quelque sorte avec peine comme tous les chefs-d’œuvre.

— L’enfant a une paire d’yeux, disait la sœur portière, et c’est tout !

Cela suffit. Vous avez vu l’étrange et mystérieux travail des pleines lunes de l’été, qui mangent les nuages, selon l’expression des marins. Ces lunes se lèvent dans la brume ; à peine ont-elles émergé au-