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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/252

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choix. N’ayez ni scrupule ni fausse honte. Savez-vous quelqu’un qui vous aime et que vous pourriez aimer ?

Nita rougit puis pâlit. Elle baissa la tête et garda le silence.

Le comte attendit.

— Peut-être n’avez-vous pas confiance en moi, prononça-t-il lentement, ou peut-être comptez-vous sur la loi ; mais, je vous le dis : s’ils le veulent, ils tromperont la loi !

Il ajouta en se penchant jusqu’à l’oreille de la jeune fille :

— Ils ont déjà trompé la loi !…

— Tenez, s’interrompit-il, j’ai chaud, maintenant ; mon corps brûle. C’est toujours ainsi après le frisson… Quand mon père mourut, je fus ivre pendant six semaines ; il y avait une chose que je voulais oublier… et pourtant, je me disais en moi-même : tiens-toi droit, Joulou ! te voilà comte. Les aïeux sont en haut à te regarder ! Mais en bas, en bas ils étaient là, eux, et ils criaient : Allons ! entonne, la brute ! Monsieur le comte, à votre santé !… Le sang avait jailli jusque dans mes yeux, cette nuit-là ; je voyais rouge… Et j’étais jaloux ! Cette femme tuait mon âme avant de tuer mon corps !

— La même femme ? interrogea Nita.

— Quand ma mère mourut, poursuivit encore le comte qui semblait n’avoir pas entendu, je compris que nous étions deux désormais à voir le fond de ma conscience, moi sur la terre, elle dans le ciel. Je la sentis près de moi et au-dessus de moi… Mais ils étaient là et ils me disaient : « Monsieur le comte, nous sommes une grande famille où vous avez le droit d’aînesse. Le pacte fut signé le matin du mercredi des Cendres, Monsieur le comte : signé avec du sang ! allons, il n’est plus temps de s’arrêter ! Obéissez-nous puisque vous êtes notre maître !… »

— Non, s’interrompit-il de nouveau pour répondre au regard inquiet de Nita, je ne suis pas fou, princesse… La troisième fois que je m’éveillai ce fut quand ils me nommèrent tuteur et gardien d’une jeune fille dont le sang est noble comme celui des rois. Depuis ce jour-là jamais je ne me suis rendormi… Quoi qu’on puisse vous dire contre moi, princesse, ayez confiance en moi, car je vous aime au péril de ma mi-