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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/404

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prunelles et des serpents autour du front, victime qui change de nom à la dernière heure de la tragédie, et qui s’appelle le Châtiment !

Écoutez cela ; j’étais bâillonnée sur le tapis de mon salon, et j’étais garrottée. Roland sortait de chez moi : je l’aimais… Oui, je l’aimais, cet enfant, fier comme un lion, doux comme une femme… Écoutez donc, et ne cherchez pas, fou que vous êtes, à deviner à droite ou à gauche. Je vais droit ma route et je dis tout.

Il sortait de chez moi, Dieu m’avait donné une heure d’oubli, d’ivresse, de pardon : la première heure et la dernière ; la seule qui ait brillé dans ma vie : Oh ! je l’aimais ! et il m’aimait !

Ils vinrent : Lecoq, froid et suivant son plan tracé implacablement ; Joulou, le malheureux, ivre de vin et de jalousie. Je fus maltraitée et frappée. Joulou eut les marques de mes ongles et de mes dents ; Lecoq les a gardées, ces traces, jusqu’au jour de sa mort.

Je défendis Roland. On ne passa sur mon corps qu’après m’avoir ôté le sentiment.

Quand je m’éveillai, ce fut pour entendre le cri d’agonie d’un côté, de l’autre la chanson :

Allons !
Buvons !
Chantons !
Dansons !

Joulou revint avec le sang de Roland, qui lui avait jailli dans les yeux.

Monsieur de Malevoy, Lecoq est mort d’un coup de foudre. Il m’avait frappée dans mon corps et dans mon cœur. Joulou m’a frappée de même, de même il mourra.

Elle se tut et mit son mouchoir brodé à ses lèvres.

Léon restait aux prises avec ce bref récit où la vérité et le mensonge, concassés, pilés en quelque sorte dans le même mortier, formaient un tout indivisible.

M. Cœur, demanda-t-il après un silence, est-il bien, selon vous, ce Roland, le fils de la duchesse Thérèse ?

— Oui, répondit-elle, retirant son mouchoir où ses dents laissaient de nettes et profondes coupures. Cela semble ainsi, du moins, et que nous importe ? Il sera duc de Clare. Quel mal y voyez-vous ? Votre