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Page:Féval - Cœur d’acier,1865.djvu/94

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pas pour partager, hélas ! car le partage donnerait à peine à chacun de nous les moyens de quitter la France et d’aller cacher sa honte à l’étranger ; mais, au contraire, pour réunir nos faibles ressources, mettre en commun l’effort de nos intelligences et nous bâtir une fortune en dépit du passé.

Il y eut une nouvelle pause. Quelques voix s’élevèrent pour déclarer que le roi Comayrol avait rembruni la situation à plaisir. De pauvres employés pouvaient-ils rester si étroitement solitaires des malversations de leur chef ?

Letanneur, esprit littéraire, soudain dans ses évolutions, vint inopinément au secours du maître-clerc.

— Mes petits, dit-il, je vous donne ma parole d’honneur sacrée que je suis innocent du péché de notre mère Ève. Il y a plus : loin d’écouter le serpent, je lui aurais flanqué un coup de canne, car je n’aime pas ces animaux-là. Eh bien ! nonobstant, je suis sevré des agréments du Paradis terrestre, où j’aurais mené paître Adélaïde avant tant de plaisir !

— Le monde est fait ainsi ! appuya Comayrol. Nous n’y pouvons rien. Toutes les pièces de théâtre ont pour sujet l’honnête criminel, plus ou moins retaillé, retourné et reteint ; mais les bourgeois, qui applaudiront éternellement cette bourde au théâtre, n’en veulent pas à leur bureau. Je demande à expliquer l’entreprise Beaufils ou Lecoq ad libitum.

Le silence s’établit aussitôt. On savait que M. Beaufils tenait à l’agence Lecoq. Dans une certaine zone d’affaires, l’agence Lecoq avait une de ces réputations toutes neuves, mal définies, mystérieuses même, ou tout au moins romanesques, qui surexcitent au plus haut degré l’imagination des nécessiteux, des errants, des déclassés, de cette population, en un mot, éminemment parisienne qui mène toute sa vie la grande chasse de Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale.

On ne connaissait pas bien ce M. Lecoq. On le savait seulement commissionnaire en invisibles denrées. Il existe deux opinions à l’égard de ce commerce : ceux