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Page:Féval - L’Avaleur de sabres.djvu/176

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L’AVALEUR DE SABRES

Nous ajoutons que les comédies de ce genre arrivent au succès, surtout par leurs côtés les plus invraisemblables.

Les charlatans sauvent parfois ceux que la médecine sérieuse a condamnés. Il en est ainsi dans la vie, et certains découragements se réfugient d’eux-mêmes dans l’impossible.

Chaque siècle, du reste, subit pour un peu l’influence de la poésie ambiante : ceci du haut en bas de l’échelle sociale. On est bien forcé de prendre le merveilleux où les poètes l’ont mis.

Les sorciers du Moyen Âge, succédant aux oracles antiques, se chargeaient de répondre aux questions de l’ambition effrénée ou de l’aveugle désespoir. Le XVIIIe siècle incrédule inventa les magnétiseurs et but en riant l’élixir de vie, distillé par le comte de Cagliostro. Nous avons eu de nos jours les médiums et les tables tournantes.

C’est là le merveilleux pur, le surnaturel franchement inexplicable.

Mais le merveilleux poétique est autrement fait. C’est la baguette des fées, ce sont les miracles obtenus par la lance des chevaliers, ou bien ce sont les prouesses encore plus étonnantes accomplies par l’épée de d’Artagnan, par l’or de Monte-Cristo.

On ne croit pas à tout cela, je le veux bien, mais il en reste quelque chose.

D’Artagnan mourut il y a longtemps.

Depuis Monte-Cristo, Jupiter en habit noir qui lançait les billets de banque comme la foudre, on a été chercher le merveilleux plus bas encore, beaucoup plus bas.

Quelques-uns ont choisi des assassins et des voleurs pour les revêtir de je ne sais quels oripeaux magiques ; d’autres, moins fous et plus hardis, ont osé prendre cette personnalité détestée et méprisée : l’agent de police, pour l’entourer de rayons sur l’effronté piédestal de leurs fictions.

On pêche ses héros où l’on peut, dans les temps de disette avérée. Il y a quelque chose d’original et à la fois de généreux à préférer les gendarmes aux voleurs en un pays comme la France, assez spirituel pour siffler toujours les gendarmes en applaudissant fidèlement les voleurs. Je ne puis que louer de tout mon cœur les hommes de grand talent qui se sont donné la mission de réhabiliter l’agent de police. Il était temps de flétrir l’innocence incurable du suffrage universel se faisant le complice des meurtriers et des filous pour accabler ces modestes soldats qui gardent vaillamment le repos de nos nuits et n’ont pas même, pour compenser la dérisoire modicité de leur paye, l’appoint de la considération publique.

Mais, entre les réhabilitations équitables et les fusées d’une complète apothéose, il y a de la marge, et peut-être n’était-il pas nécessaire de remplacer le chapeau que messieurs les inspecteurs de la sûreté portent dans la vie réelle par une trop fulgurante auréole.

Pour plaire, nous sera-t-il répondu, il faut exagérer dans un sens comme dans l’autre.

Ceux qui disent cela mentent, insultant à la fois les écrivains et le public.

Ma religion est qu’on peut plaire en disant l’exacte vérité ; ma croyance est que nous heurtons tous les jours sur le trottoir des réalités bien autrement curieuses et bizarres que n’en peut inventer l’exagération même de ceux qui se battent les flancs pour étonner les naïfs.