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Page:Féval - La Vampire.djvu/103

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LA VAMPIRE

Un cri s’échappa de sa poitrine, car il se vit perdu, cette fois, et tué par la présence même de cette femme.

Le reste fut plus rapide que l’éclair.

Marcian Gregoryi n’était pas homme à lâcher sa proie. Il avait demandé le combat, on lui refusait le combat, et de maître qu’il était, de par son sabre nu, un retard d’une seconde allait le faire esclave.

Le cri du général français allait amener cent épées.

Marcian Gregoryi visa le cœur de son rival et frappa un coup de pointe à bras raccourci.

Mais avant que le sabre aigu, lancé de manière à traverser de part en part cette frêle poitrine, eût accompli la moitié de sa route, un mouvement convulsif du bras le retint.

Un éclair avait illuminé le demi-jour de la tente ; une explosion avait retenti.

Le sabre s’échappa des mains de Gregoryi, qui tomba foudroyé.

Ma sœur aussi avait visé. La balle de son pistolet, en cassant le crâne de son mari, préservait les jours du général Bonaparte.

Officiers, généraux, soldats entrèrent de tous côtés à la fois pour voir Bonaparte debout, un peu pâle mais froid, ayant à sa droite un homme baigné dans son sang ; à sa gauche cette femme éblouissante, dont le sein demi-nu palpitait et qui tenait encore à la main son pistolet fumant.

— Citoyens, dit Bonaparte, vous arrivez un peu tard. Veillez mieux à l’avenir. Il paraît que la tente de votre général en chef n’est pas bien gardée.

Et, pendant que l’assistance consternée restait muette, ajouta :

— Je m’étais endormi ; j’avais eu tort, car nous avons de la besogne. On m’a éveillé… Citoyens, que cet homme soit pansé avec beaucoup de soins, s’il vit encore ; s’il est mort, qu’il soit enterré honorablement : ce n’est pas un assassin.

Il renvoya d’un geste ceux qui l’entouraient, et dit encore :

— Citoyens, tenez-vous prêts. Tout à l’heure je vais rassembler le conseil.

On emporta le corps de Marcian Gregoryi, qui ne respirait plus.

Ma sœur resta seule avec le général Bonaparte.

Vous n’avez fait que l’entrevoir, et sept années ont passé sur sa beauté. Je ne connais aucune femme qui puisse lui être comparée.

Elle était alors cent fois plus belle, et certes, celui qu’elle venait de sauver ne devait point la voir avec les yeux de l’indifférence.