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Page:Féval - La Vampire.djvu/159

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LA VAMPIRE

resta d’abord tout abasourdi à la vue de cette belle personne, insolemment blonde, qui le regardait d’un air un peu moqueur.

S’il n’aimait pas son préfet, il le craignait du moins de toute son âme.

Comment lui dire que cette charmante femme était une vampire, une oupire, une goule, un hideux ramassis d’ossements desséchés dont le tombeau, situé quelque part, sur les bords de la Seine, s’emplissait de crânes ayant appartenu à de malheureuses jeunes filles qu’elle avait scalpées à son profit, elle, la comtesse Marcian Gregoryi, la goule, l’oupire, la vampire ?

Cette insinuation aurait pu paraître invraisemblable.

Je vais plus loin : par quel moyen établir que cette monstrueuse créature, dont les joues à fossettes souriaient admirablement, se nourrissait de chair humaine ?

Comment l’accuser d’avoir été brune hier, elle, dont le front d’enfant rayonnait sous une profusion de boucles d’or ?

Vous eussiez eu beau crier : Elle est chauve ! personne ne vous aurait cru.

M. Berthellemot sentait cela.

Bien plus, il doutait lui-même, tant ces cheveux d’ambre étaient naturellement plantés.

Il n’était pas du tout éloigné de croire que « son voisin » l’avait rendu victime d’une audacieuse mystification.

— Monsieur le préfet, balbutia-t-il enfin, je vous prie de tenir pour assuré que j’ai pris des notes… et je suis bien l’humble serviteur de madame la comtesse.

— Ordre autographe, monsieur, répéta noblement M. Dubois, et libellé dans une forme qui semble présager les grands événements dont l’augure favorable… Bref, je m’entends, monsieur, et je ne suppose pas que vous ayez besoin de connaître les secrets de l’État.

Berthellemot s’inclina jusqu’à terre.

— Veuillez écouter, je vous prie, poursuivit le préfet, qui déplia un papier de petite dimension, chargé d’une écriture hardie et un peu irrégulière.

Et il lut d’une voix tout à coup saturée d’onction :

« Nous chargeons M. L. N. P. J. Dubois, notre préfet de police, d’écouter avec le plus grand soin les renseignements qui lui seront fournis par le porteur du présent.

« La comtesse Marcian Gregoryi est une noble Hongroise qui nous a rendu déjà un signalé service lors de la campagne d’Italie. Nous avons éprouvé son dévouement personnel.

« Ce qu’elle demandera devra être exécuté à la lettre.

« Signé : N***. »