Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/156

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— Gertraud nous suivit ; le page Hans vint nous rejoindre, et ce furent eux qui élevèrent l’enfant… Ils demeurèrent longtemps tous les deux sur la rive du Rhin, de l’autre côté du château de Rothe… Deux dignes cœurs, maître Blasius, aimants, dévoués, fidèles !… Je sais où retrouver le page, et, avant un mois, s’il plaît à Dieu, le fils de ma sœur, comte de Bluthaupt et de Rothe, rentrera dans la maison de ses ancêtres.

Le geôlier se leva ; il voulut prendre la cruche de grès pour emplir les deux verres, mais sa main tremblait.

— Le schloss n’est pas encore vendu ! dit-il. Je pourrais vivre assez pour voir Bluthaupt rentrer dans ses domaines !… Par le nom de Dieu ! pour voir pareille fête, je veux bien risquer le pain de mes vieux jours !…

Il dépouilla précipitamment sa douillette de laine.

— Je ne suis pas ivre, meinherr Otto, reprit-il en redressant sa tête blanche ; — je sais bien que vous pouvez me tromper… mais j’ai mangé pendant quarante ans le pain de Bluthaupt… prenez mes vêtements et que Dieu vous protège !

Il aida lui-même le bâtard à passer la douillette par-dessus son costuma de voyage et à cacher ses traits sous l’ample capuchon :

Otto lui serra la main :

— Attendez-nous, dit-il ; demain vous recevrez 5,000 florins… Si nous ne sommes pas revenus dans un mois, c’est que nous serons morts.

Il passa le seuil de la cellule et s’engagea dans le corridor, en imitant le pas lourd et grave du geôlier en chef de la prison de Francfort.

Les veilleurs se rangèrent pour lui livrer passage, et le saluèrent respectueusement.

Maître Blasius était retombé sur un fauteuil et avait remis sa tête entre ses mains.

— Le fils du diable !… murmura-t-il. Les mauvais serviteurs de Bluthaupt l’appelaient ainsi… le fils d’un ange plutôt, puisque la comtesse Margarethe était sa mère !…

Il s’arrêta et reprit au bout de quelques minutes de silence :