Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/188

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C’était un bâtiment étroit, mais haut de plusieurs étages, qui présentait, sur sa pauvre façade, quatre ou cinq enseignes indiquant toutes la même industrie. On dirait que le commerce de vieux habits se vivifie par la concurrence. Sur la place de la Rotonde, tout le monde est fripier pour Paris et la province ; et tout le monde vit ou à peu près.

Les boutiques donnant sur la place étaient déjà fermées. Franz entra dans une allée longue et sombre, qui aboutissait à une cour intérieure. Il faisait nuit dans cette allée, et Franz n’y découvrit aucune trace de concierge. Il avait à choisir entre un escalier roide et noir qui montait, en tournant, aux étages supérieurs et la porte ouverte de la cour.

Il choisit la cour. À l’une des portes du rez-de-chaussée, il aperçut une fillette, à l’air joyeux et bon, qui causait avec un joueur d’orgue, portant sur le dos le lourd et bruyant insigne de sa profession.

C’était un garçon un peu plus âgé que Franz. Il y avait sur son visage timide beaucoup de douceur et de franchise : il y avait surtout une sorte de mélancolie rêveuse qui contrastait avec les insignes de son prosaïque métier. Le velours grossier de son pantalon et de sa veste ronde laissait deviner une constitution faible et des contours délicats. Il semblait bien las et ses reins étaient comme brisés par le poids de son orgue.

La fillette, au contraire, était forte, rose, alerte, vive. La jeunesse heureuse semblait rayonner dans son frais sourire. Elle avait à revendre de la joie, de la vie et de la santé.

Au moment où Franz mettait le pied dans la cour, le garçon à l’orgue de Barbarie tenait la main de la jeune fille entre les siennes. Il se recula précipitamment au bruit et devint rouge comme une cerise.

La jeune fille elle-même rougit légèrement, et remplaça son gai sourire par un petit air sérieux.

— Est-ce ici que demeure Hans Dorn, le marchand d’habits ? demanda Franz.

— C’est ici, répondit la jeune fille.

— À vous revoir, mademoiselle Gertraud, murmura le joueur d’orgue en soulevant sa casquette.

— Bonsoir, Jean Regnault, répondit la jeune fille, qui lui rendit son salut avec un bon sourire.