Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/196

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Franz piétinait sur les dalles humides et arpentait le terrain en homme qui attend avec impatience. On eût dit un amoureux, arrivé le premier au rendez-vous ; car le somnolent Marais produit une très-grande quantité de femmes charmantes qui attirent le soir, dans ses rues ignorées, ceux de nos jeunes seigneurs qui ne craignent pas les voyages de long cours.

Franz jetait à droite et à gauche des regards avides. Aussi loin que son œil pouvait voir, il n’apercevait rien que d’honnêtes silhouettes de rentiers ou de gros couples qui se dirigeaient, bras dessus bras dessous, vers le dîner quotidien. Les minutes lui semblaient bien longues.

Il était arrivé là tout joyeux et plein d’espoir ; maintenant son front s’était rembruni, et il n’espérait plus guère.

— Il doit être bien tard ! murmura-t-il, si elle n’allait pas venir !… Elle est rentrée déjà peut-être… Mon Dieu ! je ne peux pourtant pas mourir sans la revoir !…

Il s’agitait ; il pressait le pas et continuait sa faction inquiète.

Au bout de deux ou trois minutes, il porta la main vivement à la poche de son gilet.

— J’avais une montre ! murmura-t-il avec un accent tragi-comique.

Et sa gaieté naturelle se faisant jour à travers sa mélancolie, il se prit à sourire tout à coup.

— Ma pauvre montre ! dit-il, ma foi, il était bien temps d’en finir, car j’étais à bout de ressources !… et mieux vaut s’en aller rondement, avec une épée dans la poitrine, que d’allumer un réchaud de charbon dans sa mansarde, comme les porteurs d’eau qui font de mauvaises affaires… Mais voyons l’heure qu’il est !

Il prit sa course, et se rapprocha d’un bureau de tabac qui se ressentait évidemment du voisinage du Temple, et où l’on vendait, concurremment avec les cigares de la régie, des chaussons de lisière, des bretelles, du saron-ponce, des oignons brûlés, des cervelas, du cirage conservateur breveté pour l’entretien de la chaussure, et des almanachs de la science sociale, sans préjudice d’autres denrées.

Franz mit son œil au carreau et interrogea le cadran collé à la muraille : l’aiguille marquait cinq heures. Franz se sentit tout réjoui.