Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Johann avait dépassé les limites de l’âge mûr. En vieillissant, il n’avait point perdu son air maussade et défiant. Son commerce prospérait, du reste, et tout, dans sa personne, avait une apparence aisée.

Fritz, le courrier, ne semblait pas avoir autant à se louer du sort. Il était marchand d’habits, comme Hans Dorn ; mais ses bénéfices ne lui permettaient point d’apporter beaucoup de recherche dans sa toilette. Il avait un vieux paletot gris, usé jusqu’à la corde, et un chapeau déformé qui sentait son chineur d’une lieue.

Hans, au contraire, portait un costume décent. Il ne roulait plus guère, et faisait des achats en grand sur le carreau du Temple. Ses amis pensaient qu’il avait quelque part une bonne somme placée pour établir sa petite Gertraud.

Les autres convives avaient occupé des emplois de domesticité au schloss, ou bien des fermes dans les dépendances de Bluthaupt. Les uns et les autres avaient quitté le Wurtzbourg à différentes époques, chassés par les exigences ou les tracasseries des successeurs du comte Gunther. Ils avaient changé de maîtres avec répugnance, et ce qu’ils eussent souffert volontiers de la part d’un fils de Bluthaupt, ils n’avaient point pu le supporter venant d’une main étrangère.

La plupart d’entre eux avaient essayé diverses résidences avant d’arriver à Paris ; ceux qui s’y étaient fixés les premiers avaient appelé les autres. Les Allemands sont industrieux et rangés : presque tous gagnaient leur vie sans trop de peine, et ils n’avaient point à se plaindre de leur nouvelle patrie.

La soirée s’entamait gaiement. Johann avait tiré de son meilleur. Cela ne valait pas le vin du Rhin ; mais cela se buvait, et tout le monde avait soif. Hans seul apportait à cette fête de famille un visage distrait et préoccupé.

— Eh bien, mes fils, dit Johann au bout de quelques minutes employées comme on le devine, les affaires vont-elles un peu depuis la dernière fois ?

— Pas trop mal, pas trop mal, répondit-on de tous côtés.

— Paris est un bon endroit pour ceux qui ont de la conduite, ajouta un gros gaillard passablement couvert, qui se nommait Hermann, et qui