Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/214

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— C’était le bon temps ! reprit Hermann ; nous étions jeunes, et le maître du château s’appelait encore Bluthaupt.

Hans tourna vers lui son regard chargé de rêverie.

— Qui pourrait dire si Bluthaupt est mort ?… murmura-t-il.

Johann secoua la tête, tandis que son regard devenait inquiet. Les autres convives ouvrirent de grands yeux.

Hans remua les lèvres à deux ou trois reprises, comme s’il eût hésité à parler.

— Vous souvenez-vous de la comtesse Margarethe ? prononça-t-il enfin d’une voix si basse que ses voisins eurent peine à l’entendre.

— Si nous nous souvenons de la comtesse ? s’écria Hermann.

— Je la prie aussi souvent que ma patronne, ajouta Fritz ; car je suis bien sûr qu’elle est une sainte dans le ciel !

Hans avait les yeux baissés.

— Je voudrais que vous l’eussiez vue comme moi, murmurait-il encore. C’était comme une apparition !… Le nom de Bluthaupt était sur mes lèvres…

Il s’arrêta. Les convives l’écoutaient bouche béante. Johann l’examinait en dessous.

La fenêtre qui donnait sur la rue du Puits était recouverte de rideaux quadrillés de rouge et de blanc. Leurs plis roides et déteints tombaient de biais et laissaient visible la moitié d’un carreau de chaque côté.

Hermann était assis en face de cette croisée.

Au moment où Hans Dorn allait reprendre la parole, l’ancien laboureur fit un brusque mouvement et montra du doigt la fenêtre.

Tous les regards se portèrent à la fois de ce côté. On vit, collée à la vitre, une figure pâle qui se retira précipitamment et disparut dans l’ombre de la rue.

Hans tressaillit et poussa un cri étouffé.

— Encore ! murmura-t-il, encore une vision !…

— Par le diable, s’écria Johann en colère, votre vision va la danser, voisin Hans ! Je vais lui apprendre à venir nous espionner comme cela. Fermez les rideaux, Fritz, et attendez-moi un petit peu.

Il se leva, prit un bâton dans un coin et s’élança au dehors.