Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/237

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Le commerce est, après le jeu, la plus entraînante de toutes les occupations. S’il nous était permis de donner un pendant au fameux mot mulet bureaucrate, et de risquer un bâtard grammatical moitié grec, moitié français, nous dirions que la traficomanie est un mal dont nul ne se guérit. Le joueur agonisant voit des atouts à travers sa prunelle troublée ; le marchand suppute à sa dernière heure, et la suprême caresse de son esprit mourant est pour l’opération rêvée, qui emplit sa pauvre tête de chiffres jésuitiques et d’additions usurières.

On savait que le vieux M. de Geldberg était le négoce incarné. Comment admettre ce subit amour du repos ? L’abdication est possible chez un empereur : on conçoit Dioclétien, Charles-Quint, Casimir de Pologne. Mais, chez un banquier, c’est la chose invraisemblable. Qui plume-t-on, en effet, à planter des choux ?

On disait que le respectable vieillard avait cédé plus ou moins à un petit complot de famille. Tout le monde s’en était mêlé : ses deux associés, son fils, le brillant Abel de Geldberg, madame de Laurens, la comtesse Lampion et Lia, la douce enfant qui entourait ses derniers jours de soins si bons et si tendres.

Si violence il y avait eu, elle était toute dans l’intérêt du vieillard : ceci restait hors de doute. Les trois filles de M. de Geldberg, anges de piété filiale, ne pouvaient avoir que de vertueuses pensées. M. Abel valait pour le moins ses sœurs, et quant aux deux associés, c’étaient de si braves gens !

On avait voulu forcer le vieux banquier à se reposer, voilà tout ; on avait éloigné de lui des fatigues, qui, vraiment, ne convenaient plus à son grand âge. Il était toujours le chef nominal de la maison, et Dieu sait qu’on lui payait en respect le double de ce qu’on lui enlevait en pouvoir.

Ses associés étaient à ses genoux ; ses enfants l’adoraient ; c’était pour tous une idole, — mais une idole qu’on avait mise sous verre.

Il s’était résigné. Les affaires de la maison ne le regardaient plus. Il ne savait rien de ce qui se passait, et quand ses associés lui demandaient un conseil, par hasard, il leur refusait tout net l’appui de sa vieille expérience.

La retraite de M. de Geldberg avait eu lieu vers la fin de 1838, au plus fort de ces saturnales industrielles qui mirent toute la France en émoi. Jusqu’alors, la maison ne s’était point écartée du droit sentier de la vieille