Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/238

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banque. Elle avait tondu le prochain selon la méthode antique ; elle n’avait rien risqué. Ses bénéfices étaient clairs ; ses comptes étaient nets ; elle jouait à coup sûr, et le niveau de sa caisse, qui montait lentement, ne subissait jamais de reflux.

Après la retraite du vieux Moïse, un changement notable se fit dans les errements de la maison. La commandite, tenue à distance, se glissa bien doucement par la porte entre-baillée. Le bitume entra en fraude sous le paletot blanc du chevalier de Reinhold ; Abel et madame de Laurens servirent de chaperons aux actions des chemins de fer. Geldberg et compagnie furent imprimés en grosses lettres à la quatrième page des journaux, et leur caisse transformée en tonneau des danaïdes, engloutit des millions qui coulèrent on ne sait où…

La maison n’en garda pas moins sa réputation de proverbiale austérité. Le sens des mots change quand on l’applique au commerce, et la gêne seule peut transformer, du jour au lendemain, l’honneur mercantile en infamie. Néanmoins les anciens correspondants se disaient que les choses auraient été autrement, si le vieux Moïse n’avait point pris sa retraite.

Ils ajoutaient que ce brave homme ne pouvait point ignorer entièrement ce qui se passait autour de lui, et qu’il en éprouvait un vif chagrin. M. de Geldberg, en effet, semblait bouder comme Achille dans sa tente, tant que les bureaux de la maison dont il avait été le chef restaient ouverts au public. Il s’enfermait alors dans son appartement particulier, et personne, pas même ses enfants, pas même son valet de chambre, n’avait le droit de l’y venir troubler.

Il voulait être seul, absolument seul, depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures du soir.

Ce qu’il faisait chaque jour durant ce long espace de temps, nul ne pouvait le dire.

Et ce n’était pas faute de chercher ! Ses enfants avaient fait tout le possible pour découvrir le mot de cette énigme et n’y avaient point réussi.

Toutes les questions étaient inutiles, toutes les ruses se trouvaient déjouées par le silence obstiné du vieillard.