Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/298

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La fatigue venait. Madame de Laurens, dont la passion factice s’était un instant rallumée aux premiers feux de cette nuit de plaisir, sentait revenir la satiété et l’ennui.

Sa jolie bouche avait étouffé déjà un bâillement sous la barbe de son masque.

Esther, un peu refroidie, avait peur. Son désir était d’échanger sa noblesse toute neuve contre un vieux titre. Elle tenait à Julien, ou plutôt au vicomte d’Audemer. Elle se repentait de cette folie où l’avait entraînée sa sœur ; et, lasse de plaisirs, elle revenait à son vrai caractère, qui était passablement calculateur.

Julien seul ne se ralentissait point. Il était amoureux et piqué au jeu. Sa fantaisie restait dans toute son ardeur, et il eût donné ses aiguillettes d’enseigne pour voir seulement le visage de sa belle inconnue.

Mais ses empressements ne suffisaient point à ranimer la fête refroidie, et au bout de quelques minutes, Sara prononça cette question mortelle, qui est comme le dernier souffle du plaisir agonisant.

— Quelle heure est-il ?

Franz se tourna vivement vers la pendule, car lui aussi avait intérêt à ne point oublier l’heure.

— Nous venons d’arriver, dit Julien en riant ; cette pendule avance…

— Elle dit cinq heures et demie, ajouta Franz ; nous avons le temps.

Sara interrogea du regard la comtesse, qui lui répondit par un léger signe de tête.

Le charme était rompu ; l’amour avait replié ses ailes : on était au lendemain du bal…

Dans le cabinet voisin, l’Arménien consultait aussi sa montre, et sa montre marquait six heures et demie passées.

Sa cinquième bouteille était vide ; il avait l’air heureux comme un roi.

Il sonna le garçon.

— Mon ami Pierre, dit-il, vous avez gagné vos six louis… apportez-moi un flacon Laffite.

Pierre prit les six louis et salua jusqu’à terre.

— Si vous voulez gagner six autres louis, reprit l’Arménien, quand