Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/323

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meure, sa couche était un matelas plat et dur, jeté sur le sol humide.

Le long du matelas, il y avait place à peine pour poser ses pieds.

L’enfant se nommait Noémi. Au Temple, on appelle galifards les petits garçons de boutique, chargés de faire les courses et de porter les menus fardeaux. Noémi remplissait à peu près ces fonctions chez l’usurier, et, dans le quartier, elle était presque aussi connue que le bonhomme Araby lui-même, sous le nom de Nono la Galifarde.

Dans l’univers entier, on n’eût point trouvé un état plus misérable que le sien. Par les plus froides nuits d’hiver, elle couchait dans ce pauvre réduit où nous la trouvons maintenant, sans autre couverture que sa petite robe d’indienne. Le vent passait à travers les planches mal jointes de la devanture ; les portes du bureau d’Araby et du magasin, fermées par de lourds cadenas, l’empêchaient de chercher un asile ailleurs. L’usurier l’accablait de travaux au-dessus de ses forces ; il ne la payait point, et lui donnait à peine de quoi manger.

Quand elle sortait, les marchandes du Temple, émues de pitié à l’aspect de sa petite face pâle et souffreteuse, lui faisaient l’aumône de quelques morceaux de pain ; mais elle avait un ennemi qui la poursuivait sans cesse, et qui savait la dépouiller avec une adresse diabolique.

L’idiot Geignolet se tenait toujours aux aguets sur son passage. Il l’attendait aux détours des rues et dans l’embrasure des portes ; il restait là, immobile et l’œil ouvert comme un chien en arrêt, et quand la petite Galifarde arrivait toute joyeuse, rongeant le morceau de pain convoité, l’idiot s’élançait sur elle à l’improviste, lui arrachait sa proie de force et la frappait.

Nono s’enfuyait en pleurant. Les gens des cabarets se mettaient sur la porte pour regarder cela et riaient, car c’était drôle. Geignolet, tout fier de son triomphe, se mettait à cheval sur une borne et chantait sa chanson, la bouche pleine. On lui donnait la goutte, pour encourager sa vaillance à d’autres exploits pareils.

Et il recommençait le lendemain, parce qu’il ne trouvait point autour de lui un être plus inoffensif et plus faible qu’il pût opprimer impunément.

De même qu’on faisait sur le bonhomme Araby cent et une histoires