Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/349

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Geignolet plantait le goulot de sa bouteille entre ses grosses lèvres et humait tant qu’il pouvait, mais la bouteille était vide.

— Des jaunets ! grommelait-il, c’est chez Hans qu’on en trouve des jaunets !… j’irai en chercher pour remplir ma bouteille…

Victoire avait fait une place à Jean sur son fauteuil. Elle regardait son fils en souriant et s’épanouissait à le voir si beau. Cette joie fugitive donnait à son front pâli comme un reflet de force et de jeunesse.

— Comme il nous aime, le pauvre enfant ! pensait-elle, en caressant les boucles blondes qui tombaient sur le collet de Jean ! — comme il est bon ! et que j’ai grande honte de l’avoir soupçonné !… Mon Jean bien aimé, tu me pardonnes, n’est-ce pas ? ajoutait-elle tout haut ; — c’est pour avoir trop souffert, mon fils, que je suis toujours prête à croire au malheur.

Jean couvrait ses mains de baisers.

Le sourire de Victoire se teignit de mélancolie.

— Je ne connais point de jeune fille plus charmante et plus douce, dit-elle en se penchant à l’oreille de son fils… — Elle t’aime… voilà bien longtemps que je le sais… bien longtemps que je prie Dieu pour elle chaque matin et chaque soir, parce qu’elle a donné son cœur à mon pauvre Jean, à mon fils, à celui qui m’empêche de blasphémer la providence et de désespérer !… Si tu savais comme je l’aime, moi aussi, et comme j’ai envie de l’embrasser en l’appelant ma fille ! je rêve d’elle… je vous vois assis tous deux l’un près de l’autre, et je suis heureuse…

— Oh ! que vous êtes bonne ! que vous êtes bonne, ma mère ! dit Jean qui savourait délicieusement chacune de ces paroles.

Le front de Victoire se rembrunit.

— Si j’étais comme les autres mères, reprit-elle en étouffant un soupir, — demain tu serais son mari… Les mères donnent à leur fils de quoi je marier… Dieu l’a voulu : le bonheur des enfants vient de leur père et le leur mère… Mais moi, je n’ai rien à te donner, mon pauvre Jean… Ton père est mort, et tu n’auras de nous que la misère… Si tu étais seul, tu as de bons bras et du courage ; tu travaillerais ; tu deviendrais riche peut-être, et tu épouserais la petite Gertraud.

Elle le pressa contre son cœur avec un mouvement plein de passion.

— Mais nous pesons sur toi, poursuivit-elle, sans pouvoir retenir ses