Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/422

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Il se trouva dans une pièce de grande étendue, meublée avec un luxe sévère et à l’extrémité de laquelle un vaste bureau d’ébène reposait sur ses pieds sculptés. — Autour de la cheminée en marbre noir, ornée de colonnes torses et de sujets taillés en demi-relief, cinq ou six fauteuils en désordre semblaient annoncer qu’il y avait eu là naguère assez nombreuse compagnie.

Rodach conjectura que les places vides étaient celles des messieurs décorés qu’il avait vus traverser l’antichambre, en riant et en causant, quelques minutes auparavant.

Quoi qu’il en soit, il ne restait personne dans la chambre, et le bureau, qui était couvert d’un pêle-mêle de papiers, restait à la merci du premier venu.

Le regard de Rodach se tourna d’abord de ce côté, mais il eut à peine le temps de déchiffrer sur plusieurs imprimés jetés là au hasard le fameux en tête Chemin de fer de Paris à *** ; Compagnie des grands propriétaires ; car, en ce moment même, un bruit de voix s’éleva dans la chambre voisine, dont la porte était entr’ouverte.

Rodach se retourna vivement. Il ne put rien apercevoir. La porte ne présentait qu’une étroite ouverture, et ceux qui parlaient se trouvaient en dehors de la direction où pouvait percer son regard.

Il lui restait la faculté d’écouter.

Ceux qui parlaient semblaient être au nombre de quatre. — Il y avait une voix jeune et lourde, qui amenait les mots du gosier avec un léger accent allemand, une voix flûtée, française au premier chef, une voix grave et pédante, ornée de l’emphase méridionale, et qui pouvait bien appartenir à un habitant de la péninsule espagnole ; enfin une bonne voix de vieillard, plaintive, consternée, honnête, qui n’avait d’autre accent que celui de la rue Saint-Denis.

C’était cette dernière voix qui parlait.

— Messieurs, disait-elle, ça me brise le cœur de voir tomber une si belle maison !… Mon Dieu ! quand je pense aux affaires que nous faisions du temps du vieux M. de Geldberg, le brave homme !… C’était simple, c’était clair, c’était loyal ! Les bénéfices venaient sans qu’il y eût une seule chance de perte… et nous arrivions au bout de l’année avec