Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/518

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Le chevalier dressa l’oreille et son regard devint attentif. Depuis quelques minutes, sa cervelle travaillait pour trouver un moyen de retraite. Nous ne pouvons pas dire que la présence de sa mère le laissât libre de toute émotion, mais son émotion, s’il en avait, se rapportait à lui-même, et le tableau des misères de sa famille le mortifiait sans l’attendrir.

Il n’avait pas de cœur. Ce qui, pour d’autres, eût été un atroce supplice, n’était pour lui qu’un châtiment vulgaire, une tuile, comme on dit, qui lui tombait sur la tête.

La torture se rapetissait en arrivant jusqu’à lui ; le fer rouge se changeait en une poignée de verges ; on l’attachait à la roue, et il souffrait tout au plus comme si on lui eût donné le fouet !

Mais il craignait, et il voulait sortir d’embarras à tout prix.

Les dernières paroles de madame Regnault firent trêve au travail de son imagination ; il écouta.

— Je crus longtemps que c’étaient des calomnies, reprit la vieille femme, et je le crois encore, maintenant que je te revois, mon fils… Les gens qui venaient d’Allemagne me disaient que tu avais gagné la fortune par des moyens criminels… Mon Dieu ! que de fois je vous ai offert ma vie pour expier les fautes de mon enfant !… Ils me disaient que tu avais fait partie d’une association meurtrière, et que l’or t’avait coûté du sang !

La paupière du chevalier tremblait.

Il haussa les épaules.

— Ce n’est pas vrai, n’est-ce pas ? s’écria la marchande du Temple dans un élan de tendresse passionnée ; — tu n’as pas souillé le nom de ton pauvre père, tu n’as jamais volé que nous !…

Cette parole si poignante n’était pas même un reproche dans la bouche de la mère Regnault, car elle reprit aussitôt après :

— Non, mon fils, tu pouvais tout nous prendre, puisque tout ce que nous avions était à toi… Ils ont menti, ceux qui t’accusaient, et je regrette les larmes que j’ai versées ! Ne sais-je pas bien qu’ils ont toujours été jaloux de toi !… tu étais le plus savant, tu étais le plus beau !… Ils ne pouvaient pas te pardonner cela, mon pauvre Jacques, et ils venaient me dire que tu étais un méchant ?

Elle se tut ; sa rêverie avait tourné. Au lieu des accusations homicides