Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/534

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nous, et sa réserve tient sans doute à l’éducation qu’on lui a donnée… Notre tante Rachel est convertie au christianisme, et sa maison est presque un couvent… Lia n’a pu prendre auprès d’elle que des façons austères et froides.

— Hypocrisie ! murmura Petite ; elle nous fuit, d’abord parce que nous n’avons pas le don de lui plaire… ensuite parce qu’elle a de quoi s’occuper sans doute… Elle est seule dans cet hôtel, elle est libre autant et plus qu’une femme mariée… Qui sait si elle se borne à écrire de longues lettres et à soupirer comme une colombe éloignée de son tourtereau ?

— Avez-vous donc des raisons de supposer ?…

— Mon Dieu ! non… je veux parler seulement des choses que je sais ; d’autant plus que ces choses me suffisent pour ne point accorder une confiance très-grande aux reliques de notre petite sainte… Je suis allée hier au soir chez madame Batailleur.

— Ah !… fit Esther avec une répugnance légère mêlée de beaucoup de curiosité.

La répugnance venait de ce que madame Batailleur, dont Petite jetait négligemment le nom au travers de l’entretien, était comme une vivante transition qui devait ramener la maison de jeu sur le tapis. Or, la maison de jeu faisait peur à Esther ; — peur, mais aussi grande envie.

La curiosité avait des sources multiples. Esther savait vaguement qu’entre cette madame Batailleur et Petite il y avait une foule de secrets de toute sorte. Elle n’avait point l’habileté nécessaire pour deviner ce que Sara voulait cacher, mais la fantaisie de Sara n’était pas toujours d’être discrète, et, bien souvent, elle s’était livrée à demi, pour avoir plus de chance de persuader.

Madame Batailleur était le factotum de Sara, et l’on ne pouvait point assigner de bornes à ses services, élastiques comme ceux des valets de comédie. Elle ne reculait devant rien, elle était capable de tout.

Pour Esther qui ne la connaissait point, mais qui savait confusément une partie de son histoire, cette femme prenait de loin une physionomie romanesque et presque fantastique.

Son nom arrivait toujours comme le prologue d’un récit bizarre. Elle était le Frontin de Sara. Esther se la représentait comme possédant les