Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/546

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Avec les messages de son amant, elle serrait aussi ces brouillons inachevés qui étaient son ouvrage. Ces lignes tracées par sa main parlaient de lui comme celles qui venaient de Francfort ; elle les aimait au même titre.

La cassette était presque pleine, et il ne restait plus sur la table que deux ou trois chiffons froissés par des attouchements de tous les jours.

Lia en prit un pour le mettre à sa place, et son œil tomba, distrait, sur les premières lignes.

Au lieu de le plier, elle le garda ouvert dans sa main. C’était un brouillon qu’elle avait écrit, il y avait bien longtemps déjà, un mois après son arrivée à Paris.

Elle l’avait gardé, parce que son contenu aurait augmenté la souffrance de celui qu’elle voulait consoler.

Involontairement, elle se prit à relire cette page oubliée, qui lui parlait de lointaines tristesses.

« Je ne sais pas où vous êtes, disait-elle en ce temps, et je n’ai pas reçu de vos nouvelles depuis mon départ d’Allemagne.

» Otto, vous qui m’avez promis de m’aimer toujours, ne pensez-vous plus à moi ?… Que devenez-vous ? que faites-vous ? mon Dieu ! que je voudrais savoir, et que je souffre à me sentir loin des lieux où vous êtes !

» J’adresse ma lettre au bon Gottlieb, le paysan des environs d’Esselbach qui vous donnait l’hospitalité ; ma lettre vous parviendra-t-elle ?…

» Je suis à Paris, chez mon père, que je connais à peine, avec mes sœurs que je n’avais pas vues depuis ma petite enfance. Nous demeurons dans un hôtel magnifique et je suis entourée d’un luxe nouveau pour moi.

» Tout est beau dans la maison de mon père, rien n’y manque, pas même la verdure, pas même le chant des oiseaux.

» Du pavillon où je vous écris, je vois de grands arbres dont les branches mobiles viennent caresser ma fenêtre, et je pleure quelquefois en les regardant, Otto, parce qu’ils me rappellent ces autres arbres qui croissent libres sur la montagne, et sous l’ombrage desquels nous nous reposions tous deux…

» Comme vous me sembliez heureux de me voir et de me sentir près de vous ! vos baisers sont encore sur ma main ! Mon Dieu ! je croyais