Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/607

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M. Hippolyte cherchait où mettre ses mains, et sifflotait une polka nationale pour se donner un parfum de bonne compagnie.

Le métier de favori d’une reine est par tous pays assez triste. Le dîner était à peine commencé. Madame Batailleur montra la porte au grand garçon d’un air fort amical :

— Polyte, dit-elle, va-t-en, mon petit !… tu dîneras à vingt-cinq sous, et je payerai…

Polyte regarda d’un air mélancolique la table amplement servie ; mais il n’y avait pas de réplique possible. Il se leva sans mot dire, prit dans un coin sa canne à pomme dorée par le procédé Ruolz, et disparut en saluant gauchement.

Madame Huffé le suivit, après avoir eu l’honneur d’exécuter une cinquième révérence.

Petite leva son voile. Madame Batailleur se remit à table et noua sa serviette sous son menton.

— Y a-t-il quelque chose de nouveau ? dit-elle en se reprenant à manger sans façon.

— Oui, répondit Sara ; j’ai plusieurs choses à vous demander, ma bonne Batailleur.

La bonne Batailleur se versa un large coup de vin bleu, et le but en faisant à madame de Laurens un signe de tête familier.

Au Temple et en public, la marchande savait parfaitement se tenir à distance de la grande dame ; mais le tête-à-tête autorise bien des choses entre gens qui s’estiment et qui s’aiment.

— Chère madame, reprit la Batailleur, vous ne voulez pas vous rafraîchir un petit peu ? non ?… Eh bien ! ce sera comme vous voudrez… Je vais, boire à votre santé.

— Faites, ma bonne… Ah ! çà, vous voyez donc toujours ce petit malheureux d’Hippolyte ?…

— M’en parlez pas ! répondit Batailleur ; — j’attends toujours qu’il me monte un gandain pour lui crever l’œil… mais il est si rupin, si rupin ! j’ai le béguin pour lui[1]

  1. J’attends qu’il m’ait joué un tour pour lui fermer ma porte… mais il est si bien mis !… J’en suis folle.