Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le lion fit une grimace d’invincible répugnance.

— Je t’en prie ! insista Jean, qui craignait un refus.

— Je t’attendrai quinze jours s’il le faut, répliqua Polyte ; mais pas ici… Quelqu’un pourrait passer et dire à Joséphine que je fais le loup-garou… ça nous occasionnerait des malentendus… Fais tes affaires, prends ton temps et viens me rejoindre à l’estaminet de l’Épi-Scié, à côté du Cirque.

— C’est entendu, dit Jean, qui eût été le rejoindre aux antipodes ; — à bientôt !

— À bientôt.

Le dandy tira les pattes de son gilet, remonta sa cravate et assura son chapeau sur sa grosse chevelure ; cela fait, il prit la route du boulevard, en tendant le jabot, en effaçant les coudes et en se donnant toutes sortes de grâces.

Jean rentra précipitamment dans l’allée et traversa la cour une seconde fois ; mais au lieu de prendre l’escalier de sa mère, il tourna sur la droite et se dirigea vers le logis de Hans Dorn.

— Si son père pouvait être sorti ! murmurait-il en grimpant lestement ; — mais je parie qu’il va être sorti ! j’ai du bonheur, ce soir !

Il arriva devant la porte du marchand d’habits et frappa trois petits coups, qui d’ordinaire étaient un signal entre lui et Gertraud.

Personne ne lui répondit.

Pourtant il avait vu des lumières aux fenêtres en passant par la cour. Le logis n’était pas abandonné.

Quand un homme timide se prend à éprouver un accès de hardiesse, rien ne refroidit sa vaillance comme ces retards vulgaires qui suspendent durant des heures un honnête homme au cordon d’une sonnette.

Tel solliciteur oublie son discours d’entrée en ces perfides moments ; tel autre perd d’avance son sourire : après trois coups de sonnette, l’homme le plus brave cherche en vain son aplomb disparu.

Jean avait frappé avec confiance ; mais à mesure qu’il attendait en vain la réponse, sa confiance tombait, son front se rembrunissait, sa timidité naturelle reprenait le dessus.

Hans Dorn pouvait être à la maison ; Gertraud était peut-être couchée.