Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/756

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carreau persécuté ira cacher sa tête proscrite parmi les hontes lointaines du quartier Saint-Marceau.

S’il faut le suivre jusque dans les boues de la Bièvre, on le suivra. De nos jours, il n’est plus que cette royauté-là qui puisse trouver dans l’exil une armée de fidèles.

La maison de la rue des Prouvaires était loin de ces extrémités. Eu égard au malheur des temps, elle pouvait passer pour un établissement très-convenable. On y jouait gros jeu. Si l’on y trouvait des courtauds, les marquis n’y manquaient pas, non plus que les jolies femmes. Madame la baronne de Saint-Roch n’avait jamais eu maille à partir avec la police.

Elle était, comme on le pense bien, veuve et veuve d’un homme considérable. Elle avait éprouvé de grands malheurs. Une série de désastres lamentables l’avait réduite à la position qu’elle occupait maintenant et qui n’était certes point faite pour elle.

Ah ! si les morts peuvent voir ce qui se passe sur cette terre, feu M. le baron de Saint-Roch devait être un mort bien malheureux ! Du moins, sa noble veuve gardait-elle, dans la détresse où le sort injuste l’avait mise, toute la dignité possible. Les aides dont elle s’entourait méritaient beaucoup de considération : son bras droit, le banquier du trente et quarante, n’était rien moins que M. de Navarin, ancien officier supérieur au service du roi des Grecs, décoré sur un champ de bataille illustré par la propre main du plus glorieux des Hellènes, le grand Kolokopoulo !

Nous n’avons point eu encore occasion de parler de M. de Navarin ; quant à madame la baronne de Saint-Roch, nous la connaissons sous le nom de Joséphine Batailleur, marchande de frivolités au Temple.

À part M. de Navarin, Batailleur avait eu le secours et les conseils d’une personne éminemment compétente en ces sortes d’affaires : madame de Laurens s’était mêlée de tout et l’on reconnaissait dans tout sa main experte. Rien n’annonçait au dehors l’industrie pratiquée à l’intérieur. La maison avait une apparence modeste et sage ; c’est à peine si les voisins se doutaient de ce qui avait lieu si près d’eux.

On entrait par la rue des Prouvaires, mais il y avait une seconde issue donnant sur la halle aux volailles. L’escalier, éclairé parcimonieusement, ne prodiguait point ce gaz accusateur qui est comme une enseigne aux