Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/760

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de sauver la patrie, concurremment avec ces deux grands laquais à livrée grise, qui se tenaient debout derrière lui.

Petite avait eu raison de dire, en parlant de sa maison de jeu à Esther, que toutes les précautions étaient prises. M. de Navarin avait sous la main un bouton de cuivre, fixé à la table même, et que nous pouvons comparer au ressort d’une soupape de sûreté.

La manœuvre était simple et facile. Au premier bruit suspect, les joueurs avaient ordre de se lever ; l’ancien officier supérieur pressait son bouton, qui faisait surgir aux quatre côtés de la table carrée des bandes de billard. Les deux grands laquais soulevaient le châssis, tapissé de drap vert, qui s’adaptait exactement entre les bandes, recouvrant à la fois les mises éparses, les cartes et les signes accusateurs du véritable tapis.

La loge, poussée au même instant, se prenait à rouler sans bruit, et rentrait dans une chambre voisine, laissant seulement à fleur de muraille sa paroi antérieure qui figurait une porte grillée.

Au lieu de cet antre, où le trente et quarante agitait tant d’or naguère, il ne restait qu’une inoffensive salle de billard.

Des répétitions nombreuses avaient assuré la main des machinistes ; pour opérer ce changement, il fallait juste le quart d’une minute.

Du reste, comme nous l’avons dit, les sages précautions avaient été jusqu’alors inutiles. La maison de madame de Saint-Roch était vierge de tout démêlé avec la police.

Les rangs se serraient cependant autour de la table ; le jeu marchait au mieux. L’or glissait sur le tapis, et les soyeux chiffons de la banque dépliaient çà et là leur papier transparent et doux. Le guichet du confessionnal restait fermé : la princesse n’était pas encore arrivée.

Madame la baronne de Saint-Roch, dans tout l’éclat de sa toilette voyante, trônait à son poste avec une véritable majesté. L’homme qui maniait les cartes, ex-croupier de Frascati, remplissait son rôle en virtuose et retournait tout le jeu en un clin d’œil.

Autour de la table, les figures bizarres ne manquaient point. Le démon du jeu animait toutes les physionomies de son souffle grotesque et terrible tour à tour. Quelques-uns prodiguaient des poignées de louis avec une vaillance folle ; d’autres jetaient timidement sur le tapis le modeste écu