Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/761

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de cinq francs ; d’autres enfin, plus prudents encore, se bornaient à suivre de loin la chance et pointaient soigneusement sur des cartes le relevé de leurs parties imaginaires.

Ceux-là sont bien connus de quiconque a mis le pied dans un tripot une fois en sa vie. Ce sont des fous graves et tristes, de vrais philosophes, entêtés à rêver l’impossible, à spéculer sur la fantaisie, à vouloir fixer l’instabilité même.

Au bon temps du Palais-Royal, ils étaient nombreux et gagnaient quel que dix francs dans leur soirée à faire des trous d’épingle dans du carton. Maintenant ils végètent, misérables et déchus, dans l’attente du Messie qui restaurera la roulette.

À part madame la baronne de Saint-Roch, nous ne connaissons que deux personnages parmi cette foule attentive et avide.

Le vaudevilliste, Amable Ficelle, auteur de la Bouteille de Champagne, et son Pylade, M. le comte de Mirelune, étaient entrés là comme ils entraient partout, pour tuer le temps et occuper au hasard leur oisiveté ennuyée.

Ils n’étaient joueurs ni l’un ni l’autre ; mais le temps était froid au dehors, et il faut bien faire quelque chose.

Ils se tenaient au dernier rang, bras dessus bras dessous comme toujours, et le lorgnon à l’œil.

— Comme cela, disait Ficelle, vous avez reçu, vous aussi, un message de l’hôtel de Geldberg ?

— Un message par exprès.

— Et qui contient ?…

— Oh ! c’est très-aimable !… il s’agit de cette grande fête, dont on parle tant… vous savez, au château d’Allemagne.

— Parbleu !

— On vous en parle aussi ?

— Je crois bien !… on n’a pas même eu l’idée de se passer de moi !… J’ignorais qu’on vous eût écrit et je comptais vous présenter.

— Moi de même, mon bon, dit Mirelune un peu piqué ; en tous cas, merci de l’intention !

— Eh bien ! reprit Ficelle, je vois qu’on nous a traités en vrais amis…