Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 1-2.djvu/95

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Regnault avait usé déjà bien des fois du bénéfice de son masque, et il devait en user encore.

Parmi ses associés, il occupait un rang douteux. Personne ne comptait sur lui ; mais il se mettait si volontiers en avant, qu’on l’y laissait parfois, de guerre lasse.

— Et la chère petite comtesse ? reprit-il ; — le docteur n’a donc pas pu avoir raison de son intéressante maladie ?

— On ne détruit pas comme ça les œuvres de Satan, monsieur de Regnault ! répondit Van-Praët avec emphase ; — le docteur y a perdu son latin… l’enfant viendra, je m’en porte garant.

— Et sur ce sujet, qu’y a-t-il de décidé ?

— Notre avis, répondit Zachœus, — je parle pour meinherr Van Praët, le docteur et moi, — est que, si la comtesse Margarethe accouche d’une fille, nous laisserons les choses suivre leur cours naturel… La venue d’un enfant du sexe féminin n’annule point la vente aux termes du contrat… ce sera un délai de quelques jours… peut-être, par impossible, de quelques semaines… en tout cas, le comte Gunther et sa noble épouse ne peuvent aller bien loin désormais.

Le Madgyar avait posé sa fourchette sur la table, et suivait les paroles de l’intendant avec un singulier intérêt.

Les autres convives avaient approuvé du geste, excepté Mosès Geld, qui se renfermait strictement dans son humble réserve, et donnait tous ses soins au contenu de son assiette.

— Et si c’est un enfant mâle ? demanda encore Regnault.

Zachœus fut quelques secondes avant de répondre ; il semblait chercher et choisir ses expressions.

— Nous ne sommes pas des écoliers, dit-il enfin ; — et si nous nous sommes associés, c’est assurément pour quelque chose.

— Évidemment, opina Van-Praët.

— Non-seulement, reprit l’intendant, la venue d’un enfant mâle nous laisserait déchus de nos droits d’acheteurs ; mais elle nous ferait perdre toutes les sommes versées jusqu’à ce jour.

— Ce qui nous réduirait à la mendicité, murmura Mosès Geld, — moi et mes pauvres enfants !