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Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/114

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Sara cherchait le docteur depuis deux jours, et le docteur sentant sa propre faiblesse, fuyait et se cachait, comme ces débiteurs sans expérience qui n’ont pas encore appris à braver la face imposante du créancier.

Au premier coup d’œil, Yanos et Van-Praët durent hésiter à le reconnaître pour ce roide et orgueilleux adepte dont chaque parole était un apophtegme et qui n’abandonnait jamais, jadis, son masque de pédanterie austère.

Il avait le front bas et l’œil effarouché, sa gravité scolastique avait disparu, et son visage portait les marques de sa défaite acceptée.

Le plus heureux en tout ceci était, sans contredit, le jeune M. Abel, qui avait pour adversaire Fabricius Van-Praët, la douceur et la mansuétude en personne.

Quant aux deux autres, nous ne saurions dire lequel était le moins mal partagé ; le Madgyar était un terrible homme, mais Sara ne le cédait à personne quand il s’agissait de mal faire.

À sa vue, Van-Praët, Reinhold et Abel se levèrent et saluèrent ; le Madgyar les imita de mauvaise grâce ; il lui déplaisait d’avoir à supporter en ce moment la présence d’une femme.

Reinhold, au contraire, rattrapa au vol la queue de son sourire ; c’était une diversion, et toute diversion lui était bonne. Plus il y avait de monde dans la chambre, moins l’entrevue lui semblait redoutable ; il se remettait tout doucement et son regard était sur le point de reprendre un peu d’effronterie.

— Eh ! mais, s’écria Fabricius, c’est notre adorable Sara !… Belle dame, je vous ai vue bien petite, mais vous étiez déjà charmante, et il me souvient que notre vénérable ami, Mosès Geld, vous appelait son trésor.

Madame de Laurens répondit à cette tirade par un salut cérémonieux, dont la dernière moitié s’adressa au Madgyar ; celui-ci tordait sa moustache et rongeait son frein.

Reinhold offrit son fauteuil à Petite et la plaça comme un bouclier entre lui et son adversaire.

Après cet acte, où tant de prudence s’alliait à tant d’adresse, il éprouva ce mouvement de satisfaction naïve que ressent l’autruche poursuivie, quand elle a mis sa tête à l’abri derrière un caillou.