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VIII
TUTELLE.


Quelques heures après l’étrange bataille que nous avons rapportée, M. de la Tremlays et son écuyer furent enfermés à la Bastille.

Il est permis de croire que le vieux Breton fit des réflexions assez tristes lorsqu’il franchit le seuil de la néfaste forteresse. Quantà Jude, on peut affirmer qu’il ne réfléchit pas du tout.

Quelles que fussent ses angoisses secrètes, Nicolas Treml était trop fier et trop fort pour les laisser paraître sur son visage. Il monta en silence les noirs escaliers de la Bastille, et entra dans son cachot comme il entrait jadis au grand salon du château de la Tremlays, le front haut et la tête calme.

Mais le diable n’y perdit rien. Une fois seul, le vieux gentilhomme donna cours à son désespoir. Il s’accusa d’avoir abandonné Georges, et maudit presque son patriotisme inutile. Son entreprise lui apparaissait maintenant sous son véritable jour. La vue de la cour avait changé ses idées. Il comprenait, mais trop tard, que sa tentative, qui eût été téméraire au temps de la chevalerie, devenait, au dix-huitième siècle, un véritable acte de démence.

— C’était pour la Bretagne ! se répétait-il en manière de consolation.

Mais cela ne le consolait point.

Sa douleur et ses regrets eussent été bien plus amers encore s’il eût pu voir ce qui se passait dans son château de la Tremlays. Hervé de Vaunoy, en effet, ne faisait point les choses à demi. Quelques mots échappés à Nicolas Treml, dans la dernière conversation qu’ils avaient eue ensemble, avaient mis Hervé sur la voie, et il devinait à peu près le but du voyage de son vieux parent. Ce lui en était assez pour conjecturer le reste.

Il laissa passer une semaine. Au bout de ce terme, il regarda le retour de Nicolas Treml comme étant pour le moins fort problématique, et agit en conséquence. La majeure partie des vieux serviteurs du château fut congédiée. Vaunoy ne garda que ceux qu’il avait su se concilier dès longtemps, et Alain, le maître d’hôtel, qui était un peu son confident.

Vaunoy avait totalement changé de caractère. Depuis deux ans, il rêvait nuit et jour la possession du riche domaine de Treml, et voilà que tout à coup ce rêve s’était accompli. Pauvre hier et ne possédant que son manteau râpé de gentillâtre, il s’éveillait aujourd’hui plus opulent que pas un membre de la haute noblesse bretonne. Il y avait de quoi mettre une cervelle d’ambitieux à l’envers, et celle de Vaunoy fit la culbute.