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XIX
SOUS LA CHARMILLE.


L’illusion s’enfuit tambour battant. Dans cette gageure qu’il avait engagée contre lui-même, Didier avait parié pour un berceau et une statue. Le berceau existait, mais ce qu’il venait de prendre pour une statue était une ravissante jeune fille en chair et en os, mademoiselle Alix de Vaunoy de la Tremlays. La méprise du reste était fort excusable. Au moment où Didier l’avait aperçue, mademoiselle de Vaunoy lui tournait le dos. Elle était debout et immobile au centre du berceau, lisant une lettre froissée et sans doute bien souvent relue, qu’elle venait de tirer de son sein. Ses beaux cheveux noirs avaient, ce matin de la poudre, et une robe de mousseline blanche formait toute sa toilette.

Au cri poussé par Didier, elle se retourna, comme nous l’avons dit, et le papier qu’elle lisait s’échappa de sa main tremblante. Son premier mouvement fut de fuir, mais la réflexion la retint. Elle fit même un pas vers le coude de la charmille, où, suivant toute apparence, Didier allait se montrer. Elle avait reconnu sa voix. Mademoiselle de Vaunoy avait sur le visage cette pâleur que donne une nuit sans sommeil. Son regard, ordinairement hardi dans sa douceur, était triste, timide et grave. Didier s’avança vers elle d’un air embarrassé. Pour prendre contenance, il se baissa et releva la lettre qu’Alix avait laissée tomber. Cette lettre était de lui. Il la reconnut, et son malaise augmenta en même temps qu’il se communiquait à sa compagne, dont une vive rougeur colora les joues.

— C’est la lettre que vous crûtes devoir m’écrire pour m’annoncer votre départ, murmura-t-elle si bas que Didier eut peine à l’entendre. Je suis heureuse qu’elle soit tombée entre vos mains, car vous la garderez, monsieur.

Ces paroles peuvent sembler bien simples, bien insignifiantes ; mais qui ne sait que, entre gens qui s’aiment ou qui se sont aimés, les paroles ne veulent rien dire ? En parlant ainsi, Alix avait les yeux baissés ; sa belle bouche se fronçait comme pour retenir une plainte. Il y avait dans sa voix un amour vainqueur, combattu par une résignation forte, mais impuissante. Didier la contemplait avec respect, regret et tendresse : car la douleur fièrement supportée inspire le respect, — car on regrette souvent de ne plus aimer quand l’amour a fini par inconstance et non par lassitude, — car il y a un sentiment affectueux, délicat, dévoué, qui survit en toute âme noble à la passion éteinte. Et d’ailleurs, Didier savait-il bien ce qui était au fond de son propre cœur ? En présence de cette femme si belle, pouvait-il être certain de n’aimer plus ? En ce