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XXI
MADEMOISELLE DE VAUNOY.


Pendant que maître Alain et Lapierre attendaient, Hervé de Vaunoy arpentait à pas lents le corridor avec sa fille qui s’appuyait à son bras et dont il caressait paternellement la blanche main.

— J’ai à vous gronder, Alix, disait-il de sa voix la plus doucereuse. Vous avez été, vis-à-vis de notre hôte, le capitaine Didier, d’une froideur !…

Il appuya sur ce mot et regarda sa fille en dessous. Aucune émotion ne parut sur le calme et beau visage d’Alix.

— Il ne faut point outrepasser le but, reprit le maître de la Tremlays. Le capitaine est un brave officier du roi qui a droit à tous nos égards, et, quand on n’aime point un homme, il est bon de se contraindre un peu.

Alix releva sur Vaunoy son regard tranquille.

— Et quand on l’aime ? demanda t-elle tout bas.

Vaunoy tressaillit et ne put retenir une grimace de malaise, mais il se remit aussitôt.

— Quelle folie ! s’écria-t-il en se forçant à rire, il y a un an, s’il m’en souvient, nous eûmes un entretien sur cet enfantillage, et vous me promîtes…

— Je vous promis de tâcher de l’oublier, mon père. J’ai tâché : je n’ai pu.

— Vous me promîtes davantage, Alix.

— En effet, dit lentement Alix, je vous promis de mettre de côté tout espoir d’être jamais à lui… Monsieur, ajouta-t-elle après un court silence et d’une voix profondément triste, — j’ai tenu ma promesse : je n’ai plus d’espoir.

Vaunoy baisa la main de sa fille, toussa et se reprit à un sujet de conversation banal, mais les derniers mots d’Alix glaçaient sa gaieté d’emprunt. Il aimait sa fille ; c’était le seul sentiment louable qui fût resté debout en son cœur parmi les ravages de l’égoïsme et de la cupidité. Il eût voulu la faire heureuse, mais les événements le pressaient. Il n’avait point de choix. Un mot de Béchameil pouvait mettre en question sa fortune, sa noblesse, sa vie ; à quelque prix que ce fût, il lui fallait acheter l’appui de Béchameil.

D’ailleurs la tendresse paternelle de Vaunoy se ressentait de ses penchants et de ses habitudes. Il était fort sincère lorsqu’il traitait l’amour de haut en bas. Il avait été autrefois jeune d’âge, mais non point de cœur.

Le bonheur, pour lui, c’était l’or et la puissance territoriale ; pour une jeune femme, selon lui, ce devait être l’or aussi et le luxe qui en découle, les toilettes écrasantes, les fêtes somptueuses, l’humiliation des rivales, — et, en conscience,