Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/597

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXX
QUATRE CONTRE UN.


Jude avait été introduit, comme nous l’avons dit, par la vieille femme de charge et avait attendu son maître sur le lit de camp qui se trouvait dans un coin de la chambre.

Il s’était fort étonné lorsqu’il avait vu Didier, endormi, apporté par deux valets, et son inquiétude avait redoublé ; mais il était resté coi, afin de n’être point aperçu.

À plusieurs reprises, quand les valets furent partis, il appela son maître à voix basse. Celui-ci, plongé dans un sommeil de plomb, n’eut garde de lui répondre. Le breuvage que lui avait versé maître Alain durant le souper était un narcotique puissant, mélangé à forte dose au vin de Guyenne, si bien apprécié par M. de Béchameil.

Ce silence obstiné mit une lugubre appréhension dans l’esprit de Jude.

— C’est étrange ! pensa-t-il. Serait-ce un cadavre que ces hommes viennent d’apporter ?

— Il se leva doucement et posa la main sur le cœur du jeune homme qui battait fort tranquillement.

— Il dort, se dit Jude avec un soupir de soulagement. Que Dieu lui donne un long et tranquille sommeil !

Ce souhait devait être rempli outre mesure.

Au moment où Jude regagnait sa couche, le fracas de l’attaque éclata de toutes parts. Le vieil écuyer prit son épée, et se tint prêt à tout événement.

Au bout de quelques minutes, il entendit un bruit de pas dans le corridor et saisit quelques mots de la conversation des quatre assassins.

Il faut pourtant l’éveiller, dit-il. — Capitaine ! capitaine !

Ce disant, il secoua rudement Didier, qui demeura inerte et comme mort. Le brave écuyer, de guerre las, prit son parti et se plaça devant le lit.

— Si c’est Pelo Rouan, pensa-t-il, je l’adjurerai au nom de Treml, — et d’ailleurs, Pelo Rouan ne frappera pas un homme endormi… mais si ce n’est pas Pelo Rouan ?

En guise de réponse à cette embarrassante question, Jude tira son épée et se mit en garde. Au même instant, la porte fut ouverte et donna passage aux estafiers de Vaunoy.

Pour être plus vieux de vingt ans, Jude Leker n’avait point perdu cette robuste et martiale apparence qui avait jadis donné à réfléchir aux roués de la