Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/13

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adoptive, tout en lui tapant doucement dans le creux des mains, comme il avait vu faire par hasard à de belles dames pâmées, notre page ne pouvait s’empêcher de regarder l’enfant qui, en vérité, était miraculeusement belle.

Tout au plus paraissait-elle avoir de treize à quatorze ans. Sa tête pâle, très-douce, mais très-noblement accentuée disparaissait presque sous les masses de ses admirables cheveux noirs. Ses vêtements étaient ceux d’une fille de noblesse, quoique l’étoffe en fût commune. En détachant les lacets de sa cotte, maître Pol trouva, sous son corset, un petit médaillon d’argent uni portant à son centre des armoiries qu’on avait essayé d’effacer.

À tout prendre, le cœur humain vaut mieux qu’on ne pense. Nous n’étonnerons personne en disant que ce mauvais petit sujet de Guezevern, joueur, buveur et libertin, n’eut pas en ce moment une seule pensée qui n’eût pu être avouée par un saint. Il n’avait pas trouvé l’occasion de placer sa fameuse phrase : « celle-ci est ma fille adoptive, » mais il se l’était dite à lui-même, et cela suffisait.

Pour la première fois de sa vie, il se sentait chaste, sérieux et bon.

Et il pensait :

« Je donnerais une heure de veine au passe-dix pour avoir ici madame ma bonne mère, afin de lui confier ce beau petit ange-là ! »

Nul ne sait de quel air la digne dame de Guezevern, qui vivait au pays de Quimper avec cinq cents écus de revenus et qui avait quatre grands fils, dont maître Pol était le dernier, nul ne sait, disons-nous, de quel air la digne dame eût accueilli un semblable cadeau.

Mais ce qui doit sauter aux yeux, c’est la munificence de maître Pol. Une heure de veine au passe-dix ! Sous le roi Louis XIII, un diable de garçon comme maître Pol pouvait faire sa fortune en une heure de veine.

Éliane ne fut pas longtemps avant de recouvrer ses sens.

De son premier mot, elle appela sa mère, et le page eut l’âme inquiète, comme si déjà la crainte lui fut venue d’avoir une rivale dans ce petit cœur inconnu.

Éliane ouvrit ses grands yeux d’un bien obscur, ombragés de longs cils recourbés. Les yeux, en s’ouvrant, éclairèrent son visage d’une lueur si belle que le page eut comme un religieux respect.

Elle regarda tout autour d’elle d’un air étonné, et rabattit ses paupières comme si elle eût voulu échapper à un rêve douloureux.

« Ma mère ! ma mère ! répéta-t-elle par deux fois, puis de grosses larmes coulèrent sur la pâleur de sa joue. »

C’était une pauvre simple histoire que la sienne, et qui fut bien vite racontée.

Aussitôt qu’elle fut maîtresse de ses souvenirs, elle