Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/15

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rai avec usure. Les gens de l’auberge devenaient durs et insolents avec nous. Quand elle fut morte, on m’appela fille de voleuse.

— Sang du Christ ! gronda maître Pol. Je leur briserai les os ! »

Les paupières d’Éliane étaient lourdes. Elle les releva avec effort, disant, comme si elle se fût parlé à elle-même :

« Elle ne souffre plus, pauvre mère… et moi, j’ai tort d’avoir crainte ; elle est auprès de Dieu. Elle veille sur moi. »

Ce furent ses dernières paroles. Ses yeux s’étaient refermés. Une expression de bien-être remplaça bientôt l’angoisse qui naguère se lisait sur son gracieux visage.

Elle avait le doux sourire des anges endormis.

Pol de Guezevern resta longtemps à la regarder.

Tout un monde d’idées nouvelles était en lui.

Quand il sentit le sommeil venir, il se leva et alla se coucher tout de son long dans le corridor, en travers de sa propre porte, qu’il laissa ouverte.

Le lendemain matin, il dit à Éliane, dont le sourire triste le remerciait, car, longtemps avant lui elle s’était éveillée :

« Apprenez-moi le nom de votre mère.

— Ma mère s’appelait dame Isabelle.

— Restez ici, Éliane, reprit le page d’un ton presque solennel, je vais vous chercher une autre mère. »

Il ferma la porte sur elle, et se rendit tout d’abord à son devoir auprès de M. le duc.

M. le duc lui dit en l’apercevant :

« Te voilà, Bas-Breton ! Tête de bœuf ! Tu étais ivre, hier, et ce n’est pas séant pour un jouvenceau de ton âge ! Sais-tu où mène l’ivrognerie, coquin ? Je t’ai appelé dix fois cette nuit, pour me donner à boire : Où étais-tu ?

— Dans mon trou, monseigneur, à méditer sur les bons conseils que vous me donnâtes hier au soir.

— Quels conseils ? » demanda le duc en portant à ses lèvres une tasse de vin chaud qu’il tenait à deux mains.

César de Vendôme, qui avait déjà des vices et des infirmités de vieillard, était un tout jeune homme cependant, et un beau jeune homme, par-dessus le marché. Il entrait à peine dans sa vingt-huitième année. Son père, le Béarnais, dont la jeunesse se prolongea si tard, avait de la barbe grise à vingt-cinq ans, et son royal frère, Louis XIII, fut vieux avant d’être pubère.

Parmi les figures pittoresques qui abondèrent si étrangement sous ce règne, les mémoires du temps nous montrent ces deux fils bâtards du « seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire » sous un jour vacillant et incomplet. Dans la foule des rejetons gourmands et illégitimes qui amaigrirent sans cesse le tronc bourbonnien, cette race de Vendôme fut à coup sûr la branche la plus mâle et la mieux venue. Le duc et le grand