Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/24

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Là était peut-être le danger. Quand ces jolis anges entreprennent la conversion d’un réprouvé, il leur arrive parfois de glisser au bord de l’abîme, et de s’en aller, avec le réprouvé, au fond du précipice.

Mais, jusqu’à présent, la petite Éliane se tenait ferme. Depuis plus de deux ans, elle sermonnait maître Pol, sous les tilleuls, tant que durait la première messe, et loin d’aller vers l’abîme, elle était bien convaincue qu’elle en éloignait maître Pol chaque jour un petit peu.

Aussi était-elle ardente à la besogne.

Maître Pol se laissait prêcher avec une céleste patience. Il jurait le moins qu’il pouvait devant sa petite Éliane, ne parlait jamais du jeu et blâmait de tout son cœur les démoniaques orgies qui occupaient les nuits de M. de Vendôme. À l’entendre, à le voir près de sa petite Éliane, maître Pol était un saint, ni plus ni moins.

Et, en conscience, ils faisaient à eux deux un couple charmant, sous l’ombre des grands arbres. Cette « petite » Éliane, qui avait maintenant ses quinze ans, atteignait à la plus riche taille que puisse souhaiter une femme, mais cette taille adorable gardait les sveltes hardiesses, les gracieuses flexibilités de l’adolescence. Il y avait encore de l’enfant parmi l’opulence de cette jeunesse. Elle souriait si bien, elle chantait si clair, elle courait si franchement, donnant à la brise joueuse les boucles effarées de sa chevelure noire ! Ceci quelquefois. D’autres fois, elle vous avait un air si grave, portant haut sa tête où pas un seul de ses brillants cheveux ne dépassait l’autre, marchant à pas comptés et laissant la frange de ses cils ombrager modestement l’éclair de ses yeux !

C’était, je vous le dis, une charmeuse, une graine de duchesse, une bouture de reine. Nul ne blâme les rois qui épousent de pareilles bergères.

Je ne sais pas où ils l’avaient vue, mais tous les jeunes gentilshommes du quartier Saint-Honoré parlaient de la Tourette comme d’un miroir de beauté.

Aussi le calcul matrimonial de notre bonne béguine, trente et vingt-quatre, courait risque d’être considérablement réduit. À cette heure, il s’agissait de vingt et de quinze, d’un page aussi peu mariable qu’il est possible de rêver un page, et d’une fillette qui avait déjà dans son petit doigt plus de raison que la béguine et le page multipliés l’un par l’autre.

Prenons donc les choses où elles sont et revenons à cette jolie matinée du mois d’août, en l’an 1622, où maître Pol quitta la chambre à coucher de son royal et constamment indigéré seigneur, César de Vendôme, pour descendre à bas bruit au clos Pardaillan, où l’appelait la chanson d’Éliane :

Landerigoy
Landeriguette.

Il ne la vit point d’abord. Elle n’était ni dans les