Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/27

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— Hum ! fit maître Pol, je promets bien que je ne l’ai jamais chargé de cela. Enfin, n’importe, je veux croire qu’il fait pour le mieux, et il sera toujours temps de jouer de l’épée.

— De l’épée ! se récria Éliane, contre M. de Saint-Venant ! si doux ! si courtois, si sage !

— Un mot de plus, déclara le page, et je vais l’attendre ce soir sous le lumignon de Saint-Roch ! »

Puis, par une transition qui n’était pas dans les règles de la rhétorique, peut-être, mais qui, du moins, ne manquait pas de chaleur :

« Ô Éliane ! ma belle, ma douce Éliane ! s’écria-t-il, si je suis jaloux, c’est que je vous aime à la folie ! je voudrais vous enfermer dans un palais enchanté comme il y en avait au temps des fées, et où se trouveraient réunies toutes les délices de l’univers ! À quoi bon sortir de chez soi, quand on possède à portée de la main, tout ce que le désir peut rêver, tout ce que peut souhaiter le caprice ? Vous me grondez sans cesse et vous avez bien raison. Vous ai-je jamais résisté ? N’ai-je pas toujours écouté vos conseils, comme s’ils tombaient de la bouche du sage Mentor ?

— Et les avez-vous suivis une fois, ne fût-ce qu’une fois, malheureux ? intercala Éliane.

— Je l’ai essayé, poursuivit impétueusement le page en tombant à genoux, je n’ai pas réussi. C’est la force qui me manque. Le jeu me fait horreur, mais je joue par désœuvrement et pour imiter les libertins qui m’entourent. Quand nous serons mariés, Éliane, ma perle ! l’idée de jouer ne me viendra plus, puisque vous serez entre moi et la tentation »

Éliane soupira.

« Au fond, continua le page, je déteste le vin ; quand nous serons mariés, qui donc me contraindra de vider tasse sur tasse ? Les jurons, je n’en parle même pas, puisque ma seule tâche sera de vous plaire, et qu’en jurant je vous déplairais. Quant à cet autre péché, qu’on nomme l’inconstance…

— Pol, mon pauvre Pol, interrompit tout bas Éliane, pensez-vous que nous soyons jamais mariés ? »

Le page bondit sur ses pieds comme s’il eût entendu le plus audacieux de tous les blasphèmes.

Éliane continua :

« Je n’ai rien au monde, et vous n’êtes pas riche, mon ami. »

Voilà une chose à laquelle maître Pol n’avait assurément jamais songé.

« Hier, dit encore Éliane, ma bonne dame Honorée m’a demandé si je n’aurais point de goût pour entrer en religion.

— Et qu’avez-vous répondu ? » fit le page en tremblant.

Une larme vint aux yeux de la jeune fille.

« Rien, murmura-t-elle.

— Éliane ! s’écria maître Pol, voulez-vous que je vous épouse tout de suite ? »

Elle sourit en secouant sa jolie tête pensive.