Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/28

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« Voilà que nous avons l’âge tous deux, reprit maître Pol. Mon père m’a donné à M. Vendôme, je sais comment le prendre… et à propos, chérie, connaîtriez-vous un remède contre la colique ? »

Éliane ouvrit de grands yeux. L’idée lui vint peut-être que son chevalier en herbe était frappé de subite folie.

Parler de semblables choses au beau milieu d’un entretien d’amour !

Mais le page ne tint compte de sa surprise et poursuivit éloquemment :

« M. de Vendôme fera tout ce que nous voudrons, j’en réponds ! Vous, Éliane, mon cœur, vous êtes libre. À bien réfléchir, j’aurais plus de droits sur vous que ma tante elle-même, puisque c’est moi qui vous ai trouvée ! Que faut-il donc ? un prêtre ? Je le trouverai, tête et sang ! Et dussé-je le prendre à la gorge… Pourquoi riez-vous, Éliane ?

— Le sage mari que vous feriez ! » murmura la jeune fille.

Maître Pol mit le poing sur la hanche.

« Alors, demoiselle, dit-il avec dignité, vous ne voulez pas de moi pour époux ? Si vous me méprisez ainsi, c’est que vous en aimez un autre. Si vous en aimez un autre, par la corbleu !…

— Asseyez-vous là près de moi, Pol, mon ami, interrompit doucement la fillette, et parlons raison, vous plaît. »

Maître Pol, Dieu merci, ne demandait pas mieux que de s’asseoir près d’elle. Quant à parler raison, il fit tout son possible. C’était une noble et chère enfant que notre Éliane. Elle plaida la cause de son fiancé bien plus que la sienne propre. Elle lui remontra en termes tendres et charmants de quel poids serait une famille à un écervelé de sa sorte. Elle lui dit, et c’était bien la centième fois qu’elle le lui disait :

« Je vous aime bien, et je n’aime que vous. La Providence vous a jeté un jour sur mon chemin pour me tirer du fond de la misère, pour me donner deux années de repos, presque de bonheur. Si j’avais en vous autant de confiance que j’ai pour vous de tendresse, demain je serais votre femme, au risque de notre avenir à tous deux, mais…

— Mais, s’écria le page, enivré de bonnes intentions, tu blasphèmes l’amour, Éliane, tu ne comprends pas l’amour ; l’amour est un dieu qui fait des miracles ! Le bonheur va me transformer comme par enchantement. Je ne suis pas un abandonné, sais-tu ? Il y a mon grand cousin de Pardaillan dont l’héritage me viendra un jour ou l’autre. Mais, foin de cela ! J’ai mon épée, à tout prendre, et un bon bras pour l’emmancher ; je suis gentilhomme ; mon cœur est chaud, ma tête est saine. Mort de ma vie ! le jour où nous serons mariés, je deviendrai si sage que tu me reprocheras de ne plus savoir rire ! Regarde-moi bien, ma belle, mon adorée Éliane : Lis dans mes yeux si